auteur : Éric Chevillard
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moi

Tu me photographies, moi, ou n’importe qui d’autre, comment savoir ?

Tu me photographies – c’est mal me connaître.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 72.

Cécile Carret, 11 fév. 2014
molle

riant à gorge déployée de cette plante molle qui croît dans un ventre et développe tardivement la charpente osseuse qui va la soutenir et l’articuler, tel un arbre qui commencerait par produire une nuée de feuilles vibrantes puis seulement accrocherait celle-ci à des branches attaché à un tronc enraciné dans le sol, et qui conserve à jamais de cette période où son corps levait comme une pâte susceptible d’adopter les formes les plus aberrantes de grandes dispositions pour l’effroi et ses terribles grimaces mais aussi le tourment perpétuel de l’hésitation, ce flottement dans les gestes, ce flou dans le regard, cette figure confuse, en permanence ces airs louches de voisin d’urinoir, riant de tout cela comme de toute chose, pour faire mes dents, sans doute

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 19.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
montagne

Vous me dites que c’est une magnifique montagne qui se découpe à l’horizon et non une contrariété qui s’annonce ? Mm…

Éric Chevillard, « lundi 23 décembre 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 22 janv. 2025
morts

Combien de livres morts pour moi… Même parmi les plus grands, même ceux de nos chers auteurs, Balzac, je connais par cœur ta chanson, Hugo, je n’ai plus assez d’entrain pour te rejoindre au sommet de ton emphase, Kafka, mon âme ne saurait se tordre davantage, Proust, je suis fatigué de tes subtiles investigations, Céline, j’ai pour toi la camisole de ma lassitude… Les œuvres sont éternelles, mais le lecteur prend de l’âge. Car, évidemment, c’est bien moi plutôt qui suis déjà mort pour elles.

Éric Chevillard, « lundi 15 mai 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
mouche

J’aime les animaux, y compris le crabe mou et le crapaud verruqueux modelé par un ivrogne dans son foie malade, de ses propres mains tremblantes, y compris la hyène qui veut me voir mort et le cobra qui lui prêterait volontiers ses lunettes pour cela, y compris le bousier, le requin et le perce-oreille, mais je hais les mouches, m’entendez-vous, les entendez-vous, c’est insupportable, on m’apprendrait la disparition soudaine et définitive des mouches, je serais aux anges.

Il faudrait alors apprendre à vivre dans un monde sans mouche, me dira-t-on.

Je ne me donne pas trois secondes pour m’accoutumer à cela très bien et comme si je n’avais jamais connu autre chose.

Ce serait pourtant la fin d’une époque, me dira-t-on.

Oui, eh bien, la Terreur aussi n’a duré qu’un temps.

Je pense pouvoir me passer d’elles pour lire, pour manger, pour dormir. Si les mouches disparaissaient, elles emporteraient le deuil avec elles. Quand une mouche meurt, c’est un point d’azur en plus dans le ciel, une touche de vert frais sur la prairie, une nouvelle couche de lait de chaux sur les murs et dehors un jardin.

Je hais les mouches, leur vol est une aberration, une dérision du vol – à quoi bon voler, d’ailleurs, quand on sait marcher au plafond ? –, c’est un vol lourd et vrombissant avec pourtant des trajectoires absurdes de ballon crevé.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 35.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
moule

Chaque genre littéraire obéit à des principes qui ont fait leurs preuves et qu’il suffit de suivre, en effet, ou d’appliquer pour produire un récit qui en relève et l’illustre idéalement, tant il est vrai qu’il faut être bien maladroit pour rater une gaufre quand on possède un moule à gaufres. L’écrivain abdique ce faisant une liberté dont il ne savait sans doute comment user pour un confort si plaisant que l’on peut s’étonner de ne jamais voir l’oie pareillement se déplumer les ailes à coups de bec afin de garnir un coussin où reposer sa petite tête stupide.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 108.

Cécile Carret, 25 fév. 2014
muet

Je feins le plus vif intérêt à l’interminable récit de ce raseur. J’écarquille les yeux, j’arrondis les lèvres, j’opine du chef, je lève les mains au ciel, dans l’espoir que mes expressions surjouées dignes du cinéma muet finiront en effet par le faire taire.

Éric Chevillard, « samedi 9 février 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 19 fév. 2013
ne

Je préfère aussi ne pas non plus.

Éric Chevillard, « lundi 23 décembre 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 22 janv. 2025
neuf

C’est que le désir de reconnaissance de l’écrivain passe paradoxalement par l’escamotage de sa personne. Il entend disparaître d’abord, se défaire de tout ce dont il a hérité, de tout ce qui n’est pas lui – ou plutôt : de tout ce qui n’est pas de lui –, il nourrit l’ambition de se refaire à neuf, de tout recommencer sur la page : en tisonnant ce papier sur ses cendres, de brûler d’un feu nouveau.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 76.

Cécile Carret, 11 fév. 2014
oeil

L’œil creux, la lèvre mince, violacée, trois dents grises.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 110.

Cécile Carret, 24 fév. 2014
offre

Pourquoi avons-nous tant besoin, régulièrement, de voir la mer, si ce n’est parce qu’elle est à la fois changeante incessamment et cependant toujours même, et qu’elle nous offre ainsi – seule à le faire – le repos sans l’ennui ?

Éric Chevillard, « mercredi 12 février 2014 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 12 sept. 2014
or

Tu peux épingler huit cent sept papillons ; mais pas le vol d’un seul.

Or j’ai deux paupières.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 73.

Cécile Carret, 10 fév. 2014
origine

Toute photographie est prise depuis l’origine du monde — il s’agit en effet de savoir ce qu’il est devenu. On se glissait d’ailleurs sous la jupe des premiers appareils à trépied pour y voir plus clair.

Éric Chevillard, « lundi 31 décembre 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 1er mars 2024
oubli

Je tombe peu à peu dans l’oubli. Presque plus personne déjà ne se souvient de mon enfance.

Éric Chevillard, « mercredi 9 mars 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 9 mars 2016
oublié

Ses feuillets manuscrits sont autant de papiers gras et de torche-culs qui jonchent désormais le petit coin de littérature où il s’est oublié. Qui va se dévouer pour passer derrière avec la pelle et le râteau ?

Éric Chevillard, « lundi 7 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 mars 2016

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