auteur : Roland Jaccard
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simulacres

Mais venons-en à l’épisode Philine. J’ai alors trente-neuf ans et je suis encore vierge – ne riez pas. Est-ce par fidélité à Cécile ? Est-ce parce que l’acte sexuel me répugne ? Toujours est-il qu’en dépit de flirts innombrables, de conquêtes multiples, de rencontres scabreuses, je n’ai pas encore goûté à ce que Gide nomme les « simulacres anodins ». Je ne suis pas loin de penser, même aujourd’hui, que de tous les vices la chasteté est sans doute le plus délicieux. Vous le savez comme moi : les choses ne sont pas le centième de ce qu’on les rêve quand on a de l’imagination. La perspective agrandit tout, et le contact diminue tout. De loin, c’est quelque chose, et de près, ce n’est rien.

Roland Jaccard, « La confession d'Amiel », Le cimetière de la morale, P.U.F..

David Farreny, 12 mai 2025
stérilité

Ceci que je lis à la FNAC dans la Nouvelle Revue française : « Inventer des mots nouveaux serait, selon Mme de Staël, le symptôme le plus sûr de la stérilité des idées. » Cette citation, par Cioran bien entendu, de Mme de Staël est accompagnée du commentaire suivant : « La remarque semble plus juste aujourd’hui qu’elle ne l’était au début du siècle dernier. En 1649 déjà, Vaugelas avait décrété : “Il n’est permis à qui que ce soit de faire de nouveaux mots, non pas même au souverain. Que les philosophes, plus encore que les écrivains, méditent sur cette interdiction avant même de se mettre à penser.” »

Roland Jaccard, « Ce vendredi 10 juillet 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.

David Farreny, 3 oct. 2024
tableaux

J’aurais aimé m’approcher de cette lycéenne ; j’aurais aimé reconnaître Van ; j’aurais aimé que le temps fût vraiment aboli. Elle m’aurait embrassé ; je lui aurais proposé d’aller au cinéma Atlantic voir Yoyo de Pierre Étaix ; ensuite, nous aurions peut-être dîné chez mes parents. Comme la mort semble lointaine, invraisemblable, quand elle ne frappe pas ! Comme le passé semble beau quand il est aboli ! Nous nous apitoyons sur des fantômes que nous n’aimions pas et nous ressuscitons les morts pour mieux nous délecter du charme morbide du présent. Ce n’est pas la vie qui est sordide ou attrayante, ce sont les tableaux que nous en tirons. On ne se méfiera jamais assez de la littérature.

Roland Jaccard, « Mon père - Ce mercredi 22 septembre 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.

David Farreny, 3 oct. 2024
totalement

« Nous cherchons peut-être des oreilles autant que des mots », clamait Nietzsche du fond de sa solitude. Il est plus facile de trouver un sexe qu’une oreille. Si certaines femmes vous donnent l’impression de n’être pas totalement impuissant, d’autres vous donnent celle de n’être pas totalement inintéressant. Ce ne sont hélas ! jamais les mêmes.

Roland Jaccard, « Ce samedi 13 juin 1981 », L'âme est un vaste pays, Grasset.

David Farreny, 3 oct. 2024
Vijak

C’était durant l’hiver 1980. J’avais décidé de passer Noël au Plaza, à New York. J’éprouvais le besoin lancinant de revoir Vijak. Elle avait été le grand amour de ma jeunesse. Je l’avais perdue, par ma faute. Vingt années étaient passées ; je ne parvenais toujours pas à l’oublier. Je savais qu’elle vivait à New York. Je lui écrivais souvent, sans qu’elle me réponde. Parfois, je lui téléphonais ; elle feignait d’ignorer combien je tenais encore à elle. Je n’espérais plus rien. Simplement poser mon regard sur cette fille qui m’avait ensorcelé et qui, sans doute, n’existait plus.

Roland Jaccard, « Auriez-vous l'obligeance de m'indiquer le chemin de l'enfer ? », Le cimetière de la morale, P.U.F..

David Farreny, 12 mai 2025

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