concrétion

Est-ce parce que je suis blasé ou parce que le temps traverserait un dessèchement artistique, toujours est-il que ni la littérature ni le cinéma d’aujourd’hui ne me font éprouver cette nostalgie – désintérêt qui a pour conséquence que je tiens mes promesses de relire les romans et de revoir les films qui, en leur temps, m’avaient tant plu.

Par-delà la question de l’âge et, peut-être, d’une andropause de la sensibilité dont je serais affecté, il me semble que de moins en moins d’œuvres offrent ce qui en fait toute la valeur esthétique, à savoir une concrétion du temps si vivante que je ne puis qu’y voir un épisode de ma propre vie. Ne me restent donc que les œuvres de ma jeunesse. Non qu’un film ou un livre soit gravé dans ma mémoire parce qu’il remonterait à cette époque perdue, mais parce que j’étais contemporain du drame qui m’était raconté dans ce film ou dans ce livre, et cela, quels que fussent le temps et le lieu où il se déroulait. Je me souviens, par exemple, que j’entrais en classe de seconde quand je connus Antoine Doinel et Raskolnikov. L’un comme l’autre ne sauront jamais combien leur existence respective a été mêlée à la mienne. Étrange et pervers pouvoir de l’art qui, en nous donnant l’illusion de partager l’intimité de personnages, ne fait qu’augmenter notre solitude…

Frédéric Schiffter, « Les plaisirs et les jours révolus », La beauté, Autrement.

David Farreny, 13 mai 2025

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