labeur

Mercredi matin, nous avons fait les courses au Champion de Fleurance. Et c’était un moment délicieux. Je songeais une fois de plus à cette phrase qui me reste de Paris Texas, de Wim Wenders : « Nous étions si heureux que même de faire les courses au drugstore était un plaisir. » Sans doute étais-je seul à être si heureux ; et c’était un bonheur bien tremblant, bien mal assuré sur ses bases, et même tout à fait dépourvu de fondement, ainsi que la suite allait s’empresser de le prouver. Mais se disputer en riant pour savoir si l’on prenait tel ou tel type de biscuit, c’était exactement la vraie vie, à laquelle je me trouvais rendu après des années de malentendu, et que je trouvais seule normale, naturelle, consubstantielle à mon être, le revers exact de cette solitude et de cette tristesse à crever qui m’avaient vu si souvent pousser mon ridicule chariot le long des mêmes allées de supermarché, loin de toute raison d’exister et tout occupé au seul fastidieux labeur de durer. C’est à cela que me voici brutalement restitué. Je n’en éprouve que de l’horreur.

Renaud Camus, « dimanche 14 février 1999 », Retour à Canossa. Journal 1999, Fayard, pp. 129-130.

David Farreny, 14 mars 2004

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