abondance

Il est certain que tout ce que j’ai conçu à l’avance, et même quand je suis dans une bonne disposition d’esprit, que je l’aie inventé mot pour mot ou même accidentellement, mais dans un langage expressément formé, apparaît sec, faux, figé, gênant pour tout le contexte, et surtout, plein de lacunes, dès que je me mets à ma table pour essayer de le transcrire et bien que rien de la conception originale n’ait été oublié. Cela tient naturellement en grande partie à ce que, en dehors du papier, je ne crée quelque chose de bon que dans les moments d’exaltation où je suis délivré du papier, moments que je crains plus que je ne les désire, si fort que je les désire aussi d’autre part ; mais alors, l’abondance est si grande que je suis obligé d’y renoncer et je puise aveuglément dans le courant, prenant à pleines mains ce qui se présente au hasard, de sorte que, lorsque je veux la mettre tranquillement par écrit, mon acquisition n’est rien en comparaison de l’abondance dans laquelle elle vivait ; incapable de recréer cette abondance, elle est mauvaise et gênante, puisqu’elle me séduit en vain.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 159-160.

David Farreny, 13 oct. 2012

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