remuions

Prenons, par exemple, le cours d’expression orale. Elle nous invitait à tourner notre attention vers ce qui se déroulait à l’extérieur, puis à nous en inspirer pour parler. Il y avait rarement plus de deux ou trois élèves dans la classe. Nous marchions jusqu’à la fenêtre, nous nous penchions. Nous observions le ciel marbré de plomb et les monticules de gravats dans les rues défoncées et désertes.

— Vous avez aussi le droit de fermer les yeux, prévenait Sarah Kwong.

Je fermais les yeux, le décor changeait ou ne changeait pas, parfois nous nous retrouvions près d’un fleuve équatorial, parfois nous étions à jamais étrangers à tout, parfois nous remuions lugubrement au-delà du bord de la mort. L’exercice consistait à revenir ensuite devant Sarah Kwong et à poser des questions ou à y répondre.

— Où sommes-nous ? demandais-je.

Sarah Kwong attendait que la question finisse de résonner, puis elle répondait :

— À l’intérieur de mes rêves, Dondog, voilà où nous sommes.

Elle prononçait cela avec une dureté évidente, en me lançait un regard qui ne manquait pas de pédagogie, négateur, comme si mon existence n’avait plus la moindre importance ou comme si ma réalité n’était qu’une hypothèse très sale.

C’est cela qui me déplaisait dans l’école, cette assurance avec quoi on démolissait mes moindres certitudes sur tout.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 104.

Cécile Carret, 14 sept. 2010

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