maisons

Plus que de la laideur, à mon avis, le XXe siècle fut le siècle de la camelote. Et rien n’en témoigne mieux que tous ces pavillons qui éclosent le long de toutes les routes et à l’entrée de toutes les villes, petites ou grandes. Ce ne sont pas des maisons, ce sont des idées de maisons. Elles témoignent pour une civilisation qui ne croit plus à elle-même et qui sait qu’elle va mourir, puisqu’elles sont bâties pour ne pas durer, pour dépérir, au mieux pour être remplacées, comme les hommes et les femmes qui les habitent. Elles n’ont rien de ce que Bachelard pouvait célébrer dans sa poétique de la maison. Elles n’ont pas plus de fondement que de fondation. Rien dans la matière qui les constitue n’est tiré de la terre qui les porte, elles ne sont extraites de rien, elles sont comme posées là, tombées d’un ciel vide, sans accord avec le paysage, sans résonance avec ses tonalités, sans vibration sympathique dans l’air.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 470.

David Farreny, 19 mai 2002
poussée

Parfois je me dis ça. Je me dis que je veux vivre. Je suis vivant. On a parfois la forte sensation d’être en vie. Parfois on se dit qu’on veut vivre. C’est ça qu’on veut. On sent que la vie nous pousse à le dire. À dire qu’on est vivant. Car on sent la poussée de la vie dans la phrase.

Charles Pennequin, Bibi, P.O.L., p. 40.

David Farreny, 28 déc. 2005
autorité

Toute autorité suppose l’assentiment de ceux qui la subissent, même si elle ne repose pas sur la démocratie. « Je suis leur chef, il faut bien que je les suive », disait un officier français, se faisant inconsciemment l’écho de Burke : « Ceux qui prétendent mener doivent, dans une large mesure, suivre. Ils doivent conformer leurs propositions au goût, au talent et au caractère de ceux qu’ils veulent commander. » Un ambassadeur français s’extasiait devant l’aisance avec laquelle Catherine la Grande se faisait obéir. Elle rit : « Je me renseigne pour savoir ce qu’ils ont envie de faire, et ensuite je le leur ordonne. »

Vladimir Volkoff, Pourquoi je suis moyennement démocrate, Le Rocher, p. 86.

David Farreny, 5 mars 2007
inéluctables

On ne sait pas qui l’on est mais on sent bien que la place n’est pas libre, le choix indifférent. Il y a quelque chose avec quoi il faut compter, des antécédents ignorés, inéluctables, une profondeur vertigineuse au creux des instants. Des âmes s’entremêlent à la nôtre, sont elles quand nous n’avons pas encore fait réflexion que nous sommes.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 24.

Élisabeth Mazeron, 7 mai 2010
fragiles

Le monde se contractant autour d’un noyau brut d’entités sécables. Le nom des choses suivant lentement ces choses dans l’oubli. Les couleurs. Les noms des oiseaux. Les choses à manger. Finalement les noms des choses que l’on croyait être vraies. Plus fragiles qu’il ne l’aurait pensé. Combien avaient déjà disparu ? L’idiome sacré coupé de ses référents et par conséquent de sa réalité. Se repliant comme une chose qui tente de préserver la chaleur. Pour disparaître à jamais le moment venu.

Cormac McCarthy, La route, L’Olivier, pp. 134-135.

David Farreny, 18 mai 2011
même

Cette année 1943 est inépuisable, elle a centré ma mémoire ; année du danger extrême, elle fut aussi celle où la conscience se fit en moi définitive, immobile, implantée avec l’assurance d’elle-même, face au paysage : le mont Rochebrune, de l’autre côté du haut plateau sur la vallée, se détachait sur le soleil couchant, par grandes trouées de pentes coupées d’ombres. Face à ce paysage, presque trop bas sous le ciel immense, tout à coup, sans raison, en un saisissement soudain, cette certitude presque physique que désormais rien ne changerait plus en moi, que tel que j’étais dans ma tête, en haut de moi-même avec cette imperceptible présence continue entre les tempes, je resterais jusqu’à la fin de mes jours, coulé par hasard dans celui que j’étais et qui aurait tout aussi bien pu être n’importe qui d’autre.

Et rien n’a, en effet, changé depuis : je suis toujours là entre mes deux tempes, tel que j’étais en ce jour de 1943, sorte de constatation ininterrompue, au-dessus de laquelle se déroule tout le reste. On a tout le corps en dessous de soi et, quoi qu’on dise ou fasse, il y a cette permanente constatation vide, cet état de fait qui empêche de prendre vraiment au sérieux tout ce qui s’agite par-dessous. Rien de plus hilarant que cette présence de soi au-dessus de tout ce qu’on fait, comme une ironie dernière.

C’est un même jour qui s’est indéfiniment prolongé. Je ne serais nullement surpris de me retrouver soudant au dortoir de mon pensionnat, encore âgé de quinze ans, pris sur le fait et mentant avec cette innocence et cet aplomb irréfutables que ne savent vraiment pratiquer que les enfants cyniquement pervers et qui en ont conscience. Le Ferdydurke de Witold Gombrowicz décrit avec une extraordinaire précision et une force sans pareille l’état de choses que je tente ici de faire voir, avec dans le cas de Ferdydurke l’honnêteté en plus (il est vrai que lui n’avait rien d’autre à cacher).

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 197.

Cécile Carret, 15 juil. 2011
estimation

La philosophie humaine est, comme telle, la philosophie d’un individu particulier revue par celles des autres, même celles des fous, et corrigée selon les règles d’une estimation raisonnable issue des degrés de probabilité.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 121.

David Farreny, 23 oct. 2014
malgré

Malgré tout, les cages fournissent, à peu près, un rayon de soleil par barreau.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015
goût

Séparées à la naissance, ces jumelles se retrouvèrent à l’âge de 40 ans grâce à un dossier conservé par les services sociaux. Et là, grande émotion, si elles ne se ressemblaient en rien au physique, elles se découvrirent avec stupeur un goût commun pour la musique, les voyages et le cinéma !

Éric Chevillard, « vendredi 29 avril 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 29 avr. 2016
andropause

J’andropause en majesté sur mon trône vermoulu, contemplant d’un œil mort mes sujettes à caution.

Éric Chevillard, « mardi 17 octobre 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 18 mars 2024
compagnie

Jour après jour, week-end après week-end, j’enviais secrètement l’aptitude de mes amis à s’amuser ensemble et les méprisais pour ne pas envier mon inaptitude à m’amuser avec eux. Je m’en voulais surtout de mon impuissance à planter là leur ennuyeuse compagnie, effrayé encore et toujours de penser qu’ayant été de trop, je ne manquerais à personne. Mais je sentais venir la rupture.

Frédéric Schiffter, « Je chute, donc je pense », Pensées d'un philosophe sous Prozac, Milan.

David Farreny, 12 mai 2024

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