système

Je suis pourtant assez aimable, il me semble, quand on me rencontre, et poli. Toutefois, dès que se profile la menace d’un système d’invitations régulières et réciproques, un affolement me saisit, je ne pense plus qu’à trouver des échappatoires, et j’en trouve, ne serait-ce que dans la force d’inertie.

L’amour, oui. Le flirt, le désir, le plaisir. L’amitié, très étroite, mais très rare. Quant aux relations sociales, c’est-à-dire les amis, au sens où la plupart des gens semblent entendre ce mot, ça n’a pas d’existence pour moi.

Renaud Camus, « samedi 3 avril 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 83.

David Farreny, 2 août 2002
remarque

Je remarque que la douleur abrutit, abêtit, écrase.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 119.

David Farreny, 24 mai 2003
endroit

Il était le fils de sa mère. Il appartenait à l’endroit. Il fut l’endroit fait homme, comme elle avait été la femme qu’il avait fallu, à un moment donné, à cet endroit. Il ne pouvait croire qu’on s’y établisse et respire sans abdiquer, dans l’instant, ce qu’il ne réclamait point, en devenir possesseur et possédé, l’esclave, le maître, ce qu’il était assurément.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 48.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
inquiétant

Dans l’obscurité, on a plus de goût à être ce qu’on est. Le visage peut se détendre enfin, se permettre d’être inquiétant.

Jean Giono, D’Homère à Machiavel, Gallimard.

David Farreny, 2 juin 2005
couler

Le spectacle des passants me fait douter que la vie n’est qu’urgence, tension permanente de toutes les forces, fatigues, désespoirs. J’aimerais aller d’un pas tranquille par les rues, l’esprit en repos. Mais il y a trop longtemps que j’ai perdu ce droit et presque tous les autres. C’est à la table de travail, à peiner, interminablement, que je trouve une sorte de paix. J’aimerais comprendre un peu ce qui s’est passé avant de couler à pic.

Pierre Bergounioux, « mercredi 20 avril 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 200.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
probité

Des lecteurs de bonne foi lisent ces textes et se convainquent que la « vraie littérature » est celle-là. Or une chose écrite n’est pas bonne à lire par le seul fait qu’elle est écrite, comme tendraient à le faire croire les actuels réflexes protecteurs du livre. Tout texte modifie le monde. Cela diffuse des mots, des représentations. Cela, si peu que ce soit, nous change. Des textes factices, des phrases sans probité, des romans stupides ne restent pas enfermés dans leur cadre de papier. Ils infectent la réalité. Cela appelle un antidote verbal.

Pierre Jourde, La littérature sans estomac, L’Esprit des Péninsules, pp. 25-26.

David Farreny, 10 janv. 2009
larges

Addio, cari… C’est curieux, les plaisanteries d’Inga et de ses grandes amies, de ces Femmes damnées : de petites plaisanteries de religieuses, de « bonnes sœurs ». À notre avant-dernière réunion, dans cette grande ville pleine d’appels joyeux, de fleurs et de parfums, chaque matin je répétais plusieurs fois : « Je vais me lever. » Alors elle disait : « Tu vas te lœwer ? tu vas devenir un lion ! Oh, j’ai peur, tu vas me dévorer. » Et elle riait, comme si ce jeu de mots était extrêmement drôle. Ah, oui : la petite fille en elle. C’était bon aussi, ces matins-là. L’été. Les grandes avenues bien ombragées, larges, toutes pleines de l’été et d’une belle vie lente et heureuse. On en voyait trois de nos fenêtres.

Valery Larbaud, « Amants, heureux amants... », Œuvres, Gallimard, pp. 634-635.

David Farreny, 2 nov. 2009
rêve

Je m’installai là, dans ce rêve, dans cette ville. Il y avait des millions de maisons abandonnées, dont les portes, comme partout ailleurs, avaient servi de bois de chauffage, de sorte qu’il fallait chercher dans les recoins les moins accessibles pour trouver un logis décent. Je m’appropriai un trois-pièces en lisière des dunes rouges. L’existence se poursuivit, elle n’était ni dangereuse ni agréable. On me confia plusieurs activités indécises, des tâches sans queue ni tête, et, pour finir, on m’attribua un emploi stable près des incinérateurs. Je dis on pour donner l’impression qu’une organisation sociale était en place, mais, en réalité, j’étais seul.

Dix mois plus tard, je revis Sophie Gironde.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 193.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
force

J’avais déjà trouvé en moi la force de fixer froidement le malheur, d’étouffer mes émotions, je commençais alors à comprendre la beauté qu’il y a à détruire.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
déprécier

C’est s’abaisser que de déprécier après coup un bonheur perdu.

Jack-Alain Léger, « Memento mori », Ma vie (titre provisoire), Salvy, p. 98.

David Farreny, 16 oct. 2014
chier

Nous marchions depuis un quart d’heure, en silence, dans le centre-ville de Brive. La plupart des rues étaient piétonnes. Les pavés de la chaussée dessinaient des motifs fleuris. Les façades étaient toutes rénovées. Chaque pierre était jointée à la perfection. À espacements réguliers, des vasques de géraniums alternaient avec des containers d’œillets d’Inde. Des haut-parleurs diffusaient une musique d’ambiance relaxante. Il y avait des boutiques sympas et des haltes gourmandes. Une signalisation spécifique pour les piétons proposait des itinéraires malins. Nous commencions à nous faire chier.

Pierre Lamalattie, 121 curriculum vitæ pour un tombeau, L’Éditeur, pp. 251-252.

David Farreny, 28 fév. 2015

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