cortex

Je vois mon cortex.

Georges Perec, « Rêve n° 64 : l’os », La boutique obscure, Denoël.

Bilitis Farreny, 21 mars 2002
passoire

Je ne sais plus que verser des larmes sur chaque journée perdue, sur du temps enfui que je devrais pourtant retenir dans ma passoire de poète.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 116.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
feu

Il y a du feu. Nous le cherchons dans les ombres,

dans l’hiver des chambres vides où veillent

des objets obscurs, nous le cherchons

Dans les prisons, les gares, les alphabets, les chiffres.

Peut-être aussi est-il dans la nuit du corps,

Dans le réseau des nerfs et du sang,

aspiré vers le haut, il tourne sur lui-même

et dicte les mots du Commencement.

Lionel Ray, Comme un château défait, Gallimard, p. 84.

David Farreny, 27 août 2006
électrique

Mais malheur à qui aura un sursaut. Un éblouissement de mal vous atteint alors au plus profond. Un neurone sans doute, un neurone crache sa souffrance électrique, dont on se souviendra.

Oh ! moments ! Que de moments d’alerte dans cette vie…

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 175.

David Farreny, 3 mars 2008
historique

La neige sur les toits millier de pages

une bande d’étourneaux les notes de Satie

une à une dans l’hiver comme un pincement

les années qui s’ébattent s’emboutissent

déferlement d’inclassables saisons. Cette

promenade toujours refusée par l’Amour menu !

Le coteau n’était-il pas de neige lui aussi

cela devient historique mais vivrais-je cent ans

que rien de plus ne sortirait de ce petit

cadavre. Enfin Jeanne souvenez-vous, Chinon ?

Jean-Pierre Georges, Dizains disette, Le Dé bleu, p. 76.

David Farreny, 18 juin 2008
suffit

Le dimanche, tout beau dimanche d’hiver qu’il soit, n’est pas le meilleur jour, bien sûr, pour dépasser Pitti et monter vers le ciel, du côté de San Miniato. Mais j’étais de si bonne humeur que la foule même, pourtant familiale et hinarce au possible, trouvait grâce à mes yeux. J’avais tiré trois coups la nuit d’avant, plutôt gentils chacun. Je pouvais me passer pour un moment d’autres engouements de la chair. D’ailleurs, à peine redescendu parmi les bugnes, les tourelles d’angle et les fenêtres géminées, j’ai rencontré vers la place de la République un aimable Sicilien qui avait tenu la veille, dans une scène d’orgie douce au Crisco, un rôle non négligeable. Nous avons marché côte à côte, parlant d’Agrigente et de Strasbourg, de part et d’autre de l’Arno. Il ne voulait pas me croire : mais jamais Rome n’offrirait rien de pareil, ces faciles accords, cette camaraderie sans empois, ces sourires qui volettent dans la foule, cette reconnaissance de la peau, ces légères accordailles des regards. Tout cela, dit-il, est illusoire. Sans doute. Mais l’illusion suffit au voyageur, quand elle dure autant que lui. Je ne fais que passer.

Renaud Camus, « lundi 26 janvier 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 29-30.

David Farreny, 9 oct. 2010
échappé

Je suppose que j’aurais dû me soucier plus tôt de savoir ce qu’il en était de cet escalier, à quoi il se rapportait, ce à quoi on pouvait s’attendre en l’occurrence et comment il fallait le prendre. C’est que tu n’as jamais entendu parler de cet escalier, me disais-je en guise d’excuse, et pourtant, les journaux et les livres passent continuellement au crible tout ce qui existe si peu que ce soit. Mais on n’y trouvait rien sur cet escalier. C’est possible, me disais-je, tu auras sans doute mal lu. Tu étais souvent distrait, tu as sauté des paragraphes, tu t’es même contenté de lire les titres, peut-être y parlait-on de l’escalier et cela t’a échappé. Et maintenant tu as précisément besoin de ce qui t’a échappé.

Franz Kafka, « Je suppose que j’aurais dû… », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 472-473.

David Farreny, 16 déc. 2011
impossible

Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux. Je n’ai reçu en héritage ni dieu, ni point fixe sur la terre d’où je puisse attirer l’attention d’un dieu : on ne m’a pas non plus légué la fureur bien déguisée du sceptique, les ruses de Sioux du rationaliste ou la candeur ardente de l’athée. Je n’ose donc jeter la pierre ni à celle qui croit en des choses qui ne m’inspirent que le doute, ni à celui qui cultive son doute comme si celui-ci n’était pas, lui aussi, entouré de ténèbres. Cette pierre m’atteindrait moi-même car je suis bien certain d’une chose : le besoin de consolation que connaît l’être humain est impossible à rassasier.

En ce qui me concerne, je traque la consolation comme le chasseur traque le gibier. Partout où je crois l’apercevoir dans la forêt, je tire. Souvent je n’atteins que le vide mais, une fois de temps en temps, une proie tombe à mes pieds. Et, comme je sais que la consolation ne dure que le temps d’un souffle de vent dans la cime d’un arbre, je me dépêche de m’emparer de ma victime.

Qu’ai-je alors entre mes bras ?

Puisque je suis solitaire : une femme aimée ou un compagnon de voyage malheureux. Puisque je suis poète : un arc de mots que je ressens de la joie et de l’effroi à bander. Puisque je suis prisonnier : un aperçu soudain de la liberté. Puisque je suis menacé par la mort : un animal vivant et bien chaud, un cœur qui bat de façon sarcastique. Puisque je suis menacé par la mer : un récif de granit bien dur.

Stig Dagerman, Notre besoin de consolation est impossible à rassasier, Actes Sud, pp. 11-12.

David Farreny, 9 nov. 2012
fermoirs

Mais voici l’étincellement de l’éclaircie et du plein soleil sur toutes les flaques, sur toute l’étendue scintillante de pierres et de tuiles imbriquées : voici le vent qui reconquiert son rocher, ridant la surface de l’eau stagnante et séchant dalles, murs et arêtes, réduisant cette roche à un os poli.

Mais l’eau de l’Arno est tenue en respect. Bien qu’assagi par les méandres en amont, le fleuve torrentiel ne cesse d’être une nature sauvage et nue. Le rapport profond que la ville entretient avec lui renvoie toujours à cette domination. Le fleuve est accueilli entre les murailles et au milieu des maisons en sa qualité de fleuve, force bénéfique et insidieuse avec laquelle il est interdit de s’abandonner aux faiblesses. Ni artifices ni flatteries. Après les divagations ombrageuses et les riantes stagnations de Rovezzano, Varlungo et Bellariva, l’Arno est emprisonné par les hautes murailles et, tout en progressant vers le cœur de la ville, resserré dans sa fosse de pierre, enjambé par des ponts bien plus semblables à de puissants fermoirs pour le sertir qu’à des routes pour le franchir.

Mario Luzi, « Paragraphes florentins », Trames, Verdier, pp. 53-54.

David Farreny, 26 fév. 2013

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