descendants

Mes descendants marchent au-dessus de moi.

Nathalie Quintane, Chaussure, P.O.L., p. 107.

David Farreny, 20 mars 2002
nécrobie

Latreille, le prince de l’entomologie, à qui sa passion sauva la vie. Prêtre réfractaire, il allait être jeté, avec d’autres, dans la cale d’un navire qui devait sombrer au large de la Gironde. Il occupait ses derniers instants à inventorier la faune du cachot. Un des geôliers, qui partageait cette curiosité, le met à part des condamnés. Un insecte — la nécrobie, « la vie dans la mort » — témoigne de cet événement.

Pierre Bergounioux, L’héritage. Pierre et Gabriel Bergounioux, rencontres, les Flohic, p. 33.

David Farreny, 6 août 2003
inexistence

La quantité de vide que j’ai accumulée, tout en conservant mon statut d’individu ! Le miracle de n’avoir pas éclaté sous le poids de tant d’inexistence !

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1722.

Élisabeth Mazeron, 4 juil. 2005
délasser

Fade matinée. Je dépêche les paquets de copies qui s’accumulaient. Jean vient couler un œil sur la besogne. Il en conçoit une haute idée parce que je suis en train de juger ses semblables. La corvée expédiée, je passe à la dernière livraison des Actes de la recherche, lis l’article de L. Pinto sur l’enseignement de la philosophie puis, pour me délasser de cette analyse rigoureuse, un peu austère, la Géologie des gîtes minéraux de Raguin.

Pierre Bergounioux, « mercredi 8 juin 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 212.

David Farreny, 14 mars 2006
trophée

La bête était évidemment morte, la grosse touffe abandonnée de sa queue balayait les pieds des enfants, pesamment rousse sous le ciel vert. Je pressai encore le pas. Ce trophée d’un autre âge que des chasseurs nabots apportaient vers moi, l’offrande qu’ils m’allaient en faire, cette fine bête carnassière livrée à des mouflets d’arrière-campagne, le bonnet rouge vif, les capuchons vieillots, l’affairement borné des porteurs et les danses sottes des autres qui gambadaient autour, tout cela décupla ma scélératesse, la fêla, l’affûta du malaise sans quoi elle est défectueuse. J’étais dans un fabliau obscène.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
dehors

La joie vient de se retrouver dehors quand on s’est perdu dedans.

Jean-Paul Sartre, Cahiers pour une morale, Gallimard, p. 514.

David Farreny, 3 mars 2009
résidence

L’indifférence des sensations, dans ce succédané de monde extérieur, était des plus déconcertantes mais j’en ai pris mon parti comme je l’avais fait du puits de mine limougeaud, du grand souffle angoissant courant sur l’Aquitaine. Je ne vivais pas. Il n’y a qu’un seul endroit où cela se puisse et, comme je n’y étais pas, je n’existais point, du moins de la seule façon que je conçoive, sans réserve ni réticence, apaisé. En tout état de cause, j’étais libre de chercher à comprendre ce qui s’était passé avant, au loin. J’étais sur place, à l’endroit où les termes convenables avaient leur exclusive résidence et je pouvais prétendre les trouver enfin.

Pierre Bergounioux, Le premier mot, Gallimard, p. 64.

Élisabeth Mazeron, 12 mai 2010
capable

Le bonheur, c’est le style. Ou bien « le style c’est le bonheur », je ne sais plus, peu importe. De toute façon, il ne s’agit jamais que de to coin a phrase, la frapper. Je ne prétends pas qu’elle soit tout à fait vraie, mais souhaiterais seulement qu’elle solennisât un peu, au prix d’un léger abus de sens ou d’une visible approximation, toujours nécessaire à l’affûtage de formules, une vérité sans doute imparfaite, mais agissante, vérifiable : que le style, s’il n’est pas absolument suffisant à assurer le bonheur, y contribue puissamment, toutefois, ou, pour dire encore moins, qu’il atténue les coups du malheur en les transmuant en tragédie, dans l’acception pleinement cathartique du terme ; que de la mélancolie il sait faire de la poésie, et tirer du plaisir, avec de la joie, tout un art. Distance, rime, imperceptible recul, accentuation, mise en forme, en place, en abyme, en lumière, ironie détachée mais critique à l’égard des oripeaux du prétendu « naturel », il est seul capable de faire des heures une journée, de la nourriture un repas, d’une discussion un échange, d’un cliché une photographie, d’un geste un souvenir, du temps qui passe un peu de temps qui reste.

Renaud Camus, « samedi 24 octobre 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 392-393.

David Farreny, 16 nov. 2010
double

Double négation, où pourtant rien ne s’annule : quand celui qui écrase ton pied, dans un métro bondé, est de plus un infirme, et l’instrument de son agression, bien entendu, est précisément la patte courte sur laquelle il retombe à chaque pas.

Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 10.

David Farreny, 29 mars 2013
complicité

Pour les nouvelles (cf. note du 3 avril), camper en quelques personnages ce trait de l’idéologie de gauche, ce trait des idéologies tranquilles, dominantes, c’est-à-dire qui ne se posent jamais que comme réponse, qui n’ont aucune question en elles : la complicité abusive. « On va pouvoir redescendre dans la rue pour manifester ! » me dit quelqu’un qui ne s’est même pas préoccupé de savoir si j’étais d’accord. Je suis d’accord. C’est évident. Puisque je suis là, habillé normalement, l’air sain, riant, etc. Le « on » avant toute question sur moi. Engloutissons-nous ensemble plutôt que de risquer de découvrir que nous aurions un désaccord. Décrire ça comme une sorte de viol qui fait rage absolument partout et tout le temps.

Philippe Muray, « 12 avril 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 47.

David Farreny, 29 fév. 2016

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