horizon

Les Arpèdres sont les hommes les plus durs et les plus intransigeants qui soient, obsédés de droiture, de droits et plus encore de devoirs. De traditions respectables, naturellement. Le tout sans horizon.

Têtes têtues de bien-pensants, poussant en maniaques les autres à s’amender, à avoir le cœur haut.

Quelle inondation de joie chez tous leurs voisins quand une guerre générale leur fut déclarée, guerre injuste entre toutes !

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 44.

David Farreny, 13 avr. 2002
cavités

Il se trouve dans mon corps des cavités, une à l’épaule, une au-dessus de l’aine, qui bourgeonnent et se referment sans me causer de trouble ; je n’ai plus besoin aujourd’hui de tailler les barbes qui bordent chacun de ces orifices, sans doute parce que je n’ai plus l’occasion d’exposer ma nudité. Cavités profondes comme le majeur, le mien pour ne pas le nommer, elles ont leurs meilleures heures quand je vais à la mer ; ô combien cet élément leur est familier ! Je les sens s’ouvrir et se rincer quand je me baigne, au travers de la combinaison de plongée dont je suis revêtu. Si d’aventure je descends et atteins les premiers hauts-fonds, elles demandent à être appuyées sur les coraux, ainsi qu’à tous les angles que la roche sous-marine a édifiés. Un jour viendra où, abouchées à des branchages coralliens, des mâts de carbone, elles ne voudront plus me laisser reprendre ma respiration.

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 129.

David Farreny, 15 nov. 2002
boule

Il n’y a pas de raison qui vaille. Si t’as une boule à l’intérieur garde-la précieusement. C’est ce que me disait ma maman. Ne te fais pas enlever la boule. Tout au moins c’est ce que je croyais. Je croyais qu’elle me le disait. Alors qu’elle me l’enlevait. En me le disant. Elle me tirait la boule. Ce boulet qui te tient lieu d’être. On supprimera ta vraie maladie. Celle qui t’a fait naître. Celle qui fait que quoi qu’on en dise et quoi que tu dises c’est pour cette raison que tu es en vie. Pour garder bien au chaud la maladie. Et les médecins n’y peuvent rien. Les médecins ils veulent t’enlever la maladie. Ils te retirent tout. Ils peuvent tout te retirer. Ils te retireront pas la boule.

Charles Pennequin, Bibi, P.O.L., pp. 12-13.

David Farreny, 28 déc. 2005
fonction

Terminé le papier sur le Lot, dont l’hypothèse est que le sentiment initial de la vie est euphorique. Ce qui a pour fonction de nous y attacher — une prime d’installation. Puis l’expérience, l’exercice de la réflexion provoquent un désenchantement graduel. Lorsqu’il s’achève, on peut s’en aller.

Pierre Bergounioux, « samedi 23 novembre 1991 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 112.

David Farreny, 20 nov. 2007
droit

En ce qui concerne le maintien du corps, ce qui s’offre au premier coup d’œil c’est la station droite de l’homme. Le corps animal court parallèlement au sol. La gueule et l’œil suivent la même direction que l’échine. L’animal ne peut de lui-même faire cesser ce rapport avec la pesanteur, qui le distingue. L’opposé a lieu chez l’homme, puisque l’œil regardant en avant, dans sa direction naturelle, fait un angle droit avec la ligne de la pesanteur et du corps. L’homme peut aussi, à la vérité, marcher à quatre pattes, et c’est ce que font les enfants. Mais, aussitôt que la conscience commence à s’éveiller, il rompt le lien animal qui l’attache au sol, il se tient droit et libre. Se tenir droit est un effet de la volonté.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « La sculpture, art classique », Esthétique, P.U.F., p. 49.

David Farreny, 7 fév. 2008
obstacle

Aller à la fenêtre. (Ne pas presser le front contre la vitre ; ça se fait à la rigueur dans ces romans de pacotille où l’on s’agite beaucoup ; en vérité le radiateur y fait obstacle, ou aussi la longue et étroite tablette carrelée ; et d’ailleurs la susdite partie de votre anatomie rougit sous la pression et se salit, c’est tout ce qu’on obtient).

Arno Schmidt, « Sortie scolaire », Histoires, Tristram, p. 131.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
lois

Le sapin se replante de lui-même, regagne après quelque temps sur les collines abandonnées. Le cycle est le suivant : le genêt s’installe en premier, puis dans la terre remuée, ouverte par ses racines, s’installe la graine du mélèze qui pousse sans ombre, et même en terrain sec. Lorsque le mélèze atteint 80 centimètres, la graine du sapin, ou de l’épicéa, s’installe dans son ombre, pousse – sa croissance est beaucoup plus rapide que celle du mélèze –, tue le mélèze qui avait déjà tué le genêt, et grandit. Sélection naturelle parmi les sapins, les mauvais sujets sont éliminés, les bons se développent – la fréquentation des forêts rend très sage. Certaines lois naturelles s’y expriment à un tel degré d’évidence qu’il est impossible de ruser avec les résultats.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 62.

Cécile Carret, 18 juin 2012
justesses

À propos de Charade, téléphonage de Sauveur, à l’instant. Mais Ph. était à proximité, et bien que je ne souhaite faire nul secret, j’en étais gêné pour parler, comme chaque fois que je dois entretenir un échange avec deux personnes à la fois, ou bien avec une seule mais en la présence d’un témoin. Il ne s’agit nullement de ce qu’on peut dire ou ne pas dire, il s’agit d’une question de ton, d’un problème de justesse musicale, en somme. Il s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la conception vague mais persistante que je peux me faire du langage, du discours, de la vérité, auxquels je ne sais pas prêter de vérité stable, absolue, mais seulement des justesses de circonstance, partielles, historiques, dépendantes de l’heure ou du siècle, de l’humeur ou du “locuteur”.

Renaud Camus, « Paris, rue Saint-Paul, samedi 31 décembre 1988, 6 heures et demie du soir », Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 370.

David Farreny, 7 mars 2024

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