métriques

Le port sécrète de l’avenir, réconforte avec ses quintaux métriques d’éléments vitaux et premiers.

Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, pp. 64-65.

David Farreny, 22 mars 2002
imbécilement

Est-ce que j’étais heureux ? Malheureux ? Ni l’un ni l’autre, probablement. Dans l’attente, comme aujourd’hui. Toute ma vie je me suis dit, imbécilement, que la vie commençait demain.

Renaud Camus, « dimanche 16 août 1997 », Derniers jours. Journal 1997, Fayard, p. 204.

David Farreny, 23 fév. 2003
petit

Songeons seulement aux sentiments que nous éprouvons en lisant un beau roman (de Walter Scott, par exemple). Quelle beauté, quelle sublimité, quel intérêt, quelles émotions déchirantes ! On pourrait croire que les sentiments que l’on éprouve alors dureront toujours, ou qu’ils soumettront l’esprit à leurs propres couleur et harmonie. Tandis que nous lisons, il semble que rien ne pourra nous tirer hors de notre carrière ou nous troubler ; et puis, à la première tache de boue qui nous éclabousse en sortant dans la rue, à la première pièce de deux pence dont nous sommes volés, le sentiment s’évanouit complètement de notre esprit et nous devenons la proie de cette insignifiante et fâcheuse circonstance. L’esprit prend son essor vers le sublime ; il est chez lui dans le vil, le désagréable et le petit.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, p. 46.

Élisabeth Mazeron, 28 nov. 2007
empaillé

On descendait par trois marches à la salle commune ; elle était enduite de ce badigeon sang de bœuf qu’on appelait naguère rouge antique ; ça sentait le salpêtre ; quelques buveurs assis parlaient haut entre les silences, de coups de fusil et de pêche à la ligne ; ils bougeaient dans un peu de lumière qui leur faisait des ombres sur les murs ; vous leviez les yeux et au-dessus du comptoir un renard empaillé vous contemplait, sa tête aiguë violemment tournée vers vous mais son corps comme courant le long du mur, fuyant. La nuit, l’œil de la bête, les murs rouges, le parler rude de ces gens, ces propos archaïques, tout me transporta dans un passé indéfini qui ne me donna pas de plaisir, mais un vague effroi qui s’ajoutait à celui de devoir bientôt affronter des élèves : ce passé me parut mon avenir, ces pêcheurs louches des passeurs qui m’embarquaient sur le méchant rafiot de la vie adulte et qui au milieu de l’eau allaient me détrousser et me jeter par le fond, ricanant dans le noir, dans leur barbe sans âge et leur mauvais patois.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
vrai

       Si le soleil répare

Les ravages du ciel, que la brise ranime

Les airs dolents — et fuyant, dispersée,

L’ombre grave des nues s’en va dans la vallée ;

Si les oiseaux confient au vent leur cœur

Sans défense, que la lumière

Dans les bois entrouverts, par les dernières

Neiges, insuffle à nouveau désir d’amour

Et nouvelle espérance aux animaux troublés —

Aux âmes lasses des humains, dans la douleur

Ensevelies, peut-il renaître

Le bel Âge, que la détresse et la flamme

Noire du vrai consumèrent

Avant le temps ?

Giacomo Leopardi, « Au printemps », Chants, Flammarion, p. 71.

David Farreny, 10 juin 2009
félicité

La phrase de Chateaubriand : « Je serai heureux d’être parti avant qu’une telle félicité ne soit advenue » (l’égalité des temps futurs), nous nous la répétons, Hélène et moi, tous les jours.

Paul Morand, « 10 juin 1973 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 72.

David Farreny, 7 août 2010
molle

riant à gorge déployée de cette plante molle qui croît dans un ventre et développe tardivement la charpente osseuse qui va la soutenir et l’articuler, tel un arbre qui commencerait par produire une nuée de feuilles vibrantes puis seulement accrocherait celle-ci à des branches attaché à un tronc enraciné dans le sol, et qui conserve à jamais de cette période où son corps levait comme une pâte susceptible d’adopter les formes les plus aberrantes de grandes dispositions pour l’effroi et ses terribles grimaces mais aussi le tourment perpétuel de l’hésitation, ce flottement dans les gestes, ce flou dans le regard, cette figure confuse, en permanence ces airs louches de voisin d’urinoir, riant de tout cela comme de toute chose, pour faire mes dents, sans doute

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 19.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
possessions

Pour celui-ci, il est déjà bien content s’il parvient à maintenir sa personne physique, d’ailleurs pitoyable, à défendre les quelques repas qu’il prend, à éviter l’influence des autres, bref, s’il conserve tout ce qu’il est possible de conserver dans ce monde dissolvant. Mais ce qu’il perd, il essaie de le regagner par force, fût-ce transformé, fût-ce amoindri, ne fût-ce même son ancien bien qu’en apparence (et c’est le cas la plupart du temps). Sa nature relève donc du suicide, il n’a de dents que pour sa propre chair, et de chair que pour ses propres dents. Car sans un centre, une profession, un amour, une famille, des rentes, c’est-à-dire sans se maintenir en gros face au monde — à titre d’essai seulement, bien sûr —, sans décontenancer en quelque sorte le monde grâce à un grand complexe de possessions, il est impossible de se protéger contre les pertes momentanément destructrices. Ce célibataire avec ses vêtements minces, son art des prières, ses jambes endurantes, son logement dont il a peur, et avec tout ce qui fait d’autre part son existence morcelée, appelée à ressortir cette fois encore après longtemps, ce célibataire tient tout cela rassemblé dans ses deux bras, et s’il attrape au petit bonheur quelque infime bibelot, ce ne peut être qu’en en perdant deux qui lui appartiennent. Telle est naturellement la vérité, une vérité qu’on ne peut montrer aussi pure nulle part.

Franz Kafka, « Eh  ! dis-je, et je lui donnai... », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 136.

David Farreny, 19 nov. 2011
frappe

Plus je lis de ces livres intéressants mais pas déterminants, plus me hante cette nécessité d’une frappe verbale exacte. Gifle ou caresse, mais précise, exactement mesurée, impeccablement juste.

Antoine Émaz, Cuisine, publie.net, p. 262.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
console

Avec E. au restaurant Belvédère, près du pont de Stralau. Elle espère encore, ou feint d’espérer une issue heureuse. Bu du vin. Elle a les larmes aux yeux. Des bateaux partent pour Grünau et Schwertau. Beaucoup de monde. Musique. E. me console, bien que je ne sois pas triste, ou plutôt je suis simplement triste d’être ce que je suis et en cela je suis inconsolable.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 353.

David Farreny, 28 oct. 2012
longue

La fille est longue, très blanche de peau, éclatante, une lumière mate la nimbe toute quand elle paraît dans l’amphithéâtre rutilant de boiseries sombres et de fresques languides ; longue de jambes et de cheveux ; Claire eût dit longue de crinière ; elle a pensé aux chevaux massifs, croupes rondes encolures de velours pattes solides, crinières pâles partagées répandues épaisses, aux chevaux lourds rassemblés là-bas à l’automne derrière les clôtures de barbelés sur les plateaux ; les vaches ont déserté, quitté l’estive et les chevaux restent seuls en troupes fluides pour faire face aux hivers, aux nuits qui ne finissent pas, au bleu inouï, aux neiges réitérées.

Marie-Hélène Lafon, Les pays, Buchet-Chastel, p. 51.

David Farreny, 30 août 2013
cliché

Aussi songeur ou rêveur semble-t-il sur ce cliché, il y a fort à parier que, s’il était possible de lire la pensée du sujet photographié à la seconde précise où la photo fut prise, nous serions bien déçus : suis-je à mon avantage ? ou : eh bien, il la prend ou non, sa photo ? ou : vite effacer ce sourire idiot, ou encore : j’espère au moins qu’il ne zoome pas. Nous lirions ce genre de pensées également dans les têtes saintes ou les têtes géniales des grands hommes, sur ces clichés célèbres où chacun croit pourtant percevoir quelque chose de leur singulière expérience du monde. Ils ne nous renseignent pourtant que sur leur rapport à la photographie. Ce peut être intéressant, notez.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 73.

Cécile Carret, 11 fév. 2014
conversation

On lui a fait répéter la phrase et elle a avoué qu’elle avait, par exemple, toujours eu peur des gants, qu’elle n’en portait jamais. Ce qu’elle voulait dire c’est qu’elle. Elle a fait une pause. Elle avait envie de leur dire quelque chose d’extraordinairement gentil. Pour la première fois, ils l’écoutaient, s’intéressaient à elle. Edgar, puisque la vente était jouée, n’accaparait nullement la conversation et les regards de sa mère. Elle a raconté un rêve, on était à table, mais ça irait, un rêve où une main s’enfonçait dans sa gorge et lui arrachait les viscères. Le pire était que tous ses organes venaient et elle ne distinguait plus son intérieur de son extérieur. Ce qu’elle voulait dire encore une fois, c’était qu’elle craignait les phrases comme mets-toi à ma place parce qu’elle ne voulait se mettre à la place de personne.

— Vous comprenez ?

Elle a expliqué qu’elle avait un peu de mal à comprendre ce qu’elle voulait dire encore une fois, mais qu’il était important pour elle qu’elle ne classe plus les situations entre irréversibles et réversibles, qu’elle devait être plus douce avec elle-même en somme. Sa dernière proposition a fait renaître les sourires et, comme Danuta apportait le dessert, on a changé de sujet avec soulagement, mais sans plus, et le père a confirmé au nom de tous qu’il n’y avait aucun problème à ouvrir son cœur. Julie a remercié.

— Non, non, je vous en prie.

Alain Sevestre, Poupée, Gallimard, p. 300.

Cécile Carret, 19 mars 2014

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