Kadnir

Je passai quatre mois à Kadnir. À peine si j’en garde un souvenir précis, seule l’impression que vraiment j’y étais bien, que c’était là mon bonheur. Sans haut, ni bas, le bonheur.

C’était à Kadnir.

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 36.

David Farreny, 14 avr. 2002
mangent

Vivre reste une affaire dont les moyens mangent la fin.

Pierre Bergounioux, « Vie domestique », Un peu de bleu dans le paysage, Verdier, p. 45.

David Farreny, 24 mai 2002
déconner

Il dévorait des yeux la belle fouteuse, et il tira ainsi trois coups sans déconner.

Anonyme du XVIIIe siècle, Le Tartuffe libertin ou le triomphe du vice, Séguier, p. 33.

Hubert Troupel, 27 août 2002
public

Il arriva que le feu prit dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. On pensa qu’il faisait de l’esprit et on applaudit ; il insista ; on rit de plus belle. C’est ainsi, je pense, que périra le monde : dans la joie générale des gens spirituels qui croiront à une farce.

Søren Kierkegaard, « Diapsalmata », Ou bien... Ou bien..., Gallimard, p. 27.

Guillaume Colnot, 28 août 2003
lassante

Plus de repos. Il faut en passer par là, successivement et indéfiniment contracté, puis décontracté, puis contracté, puis décontracté, puis contracté, puis décontracté, jamais lâché par la tyrannie de l’alternatif. L’idée qu’on a, happée par le même invisible mécanisme, montrée, puis éclipsée, puis remontrée, puis subissant une autre éclipse, puis réapparaissant, puis de nouveau oblitérée, est inefficace, lassante, oubliée, invivable, sotte, contrecarrante plus que tout, ajoutant son point final à la ridiculisation des fonctions mentales. Agaçante, ravageuse, atroce, rendant impropre à tout raisonnement, à tout théorème, à toute systématique, rendant sans mémoire, sans place (constamment éjecté de sa place, remis en place, réexpulsé de sa place), rendant pantin, rendant agité, agité, agité, agité de l’agitation du fou agité, traduction des incessantes menues agitations, des mouvements d’avance et de recul, de présence et d’absence, traduction de toutes les contradictions subies et de tous les antagonismes dont on est l’écartelé hébété.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 810-811.

David Farreny, 21 déc. 2003
museau

Quelques arbres, de la rivière, des barques, une certaine France de la mesure, des petites paresses, nonchalance et maupassaneries. On dirait que l’on caresse le museau d’un veau.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 149.

David Farreny, 5 janv. 2006
abysses

Premièrement, Palafox peut rester jusqu’à quatre-vingt-dix minutes sous l’eau. C’est le privilège des amphibies, ayant le choix entre notre monde et les abysses, on les voit peu.

Éric Chevillard, Palafox, Minuit, p. 114.

David Farreny, 22 juin 2006
saturation

Va, tant qu’il est possible, jusqu’au bout de tes défaites, jusqu’à en être écœuré. Alors, la magie partie, les restes — il doit y en avoir — ne t’abîmeront plus. Voilà comment en sortir, si tu veux en sortir. Si tu y tiens vraiment. Saturation. Avant, tu ne peux rien de définitif, ni par la contemplation ni par la critique. Et après, quasiment plus de problème.

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1068.

David Farreny, 7 août 2006
entre-deux

Le vocabulaire dont on décide de se servir peut effectivement empêcher de penser, et si l’on décrète « archaïques » certains mots ou expressions, alors il faut en trouver d’autres qui soient aussi justes, aussi forts, et ne se situent pas dans l’« euphémisation », dans cet entre-deux qui abaisse l’acuité ou l’effervescence d’une réalité décrite. Si l’on décide que tel mot est obsolète, on peut éventuellement l’accepter, mais il me semble que l’intérêt de la science historique est de trouver à travers les mots une signification qui soit proche du réel passé et puisse apporter de nouveaux types d’interprétation, de nouvelles richesses de sens. Ces mots ne peuvent être dans le déficit d’analyse, ni même collés à une réalité d’aujourd’hui abaissée par le vocabulaire et la syntaxe qui ne fait qu’en adoucir le sens afin de ne pas faire peur. En fait, ces changements de vocabulaire font violence à la pensée et à la création. Lorsque des experts expliquent que l’économie actuelle et la mondialisation sont « incontournables », sans rien préciser d’autre, c’est en fait d’une extrême violence. « Incontournable », voilà un des mots clefs qui somment celui qui les reçoit de rester immobile.

En fait, de nombreux mots prétendument « anciens » peuvent encore nous servir, car ils servent à dire le réel, efficacement ; les assimiler systématiquement à une idéologie dite suspecte, c’est non seulement les rendre inopérants, mais c’est tuer le réel. Or ces mots peuvent être employés sans dénoter aucune idéologie suspecte.

Il n’y a aucun séminaire ni aucune conférence que je ne tienne sans que s’y déroule en même temps une réflexion sur le rapport au lexique, aux mots, et sur la façon dont il faut travailler pour trouver le mot juste qui viendra le mieux caractériser une situation ayant eu lieu autrefois.

Arlette Farge, Quel bruit ferons-nous ?, Les Prairies ordinaires, p. 144.

Cécile Carret, 23 avr. 2007
jours

36 ans aujourd’hui, lundi de Pâques. Âge équinoxial ; maintenant mes jours vont raccourcir.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 20.

David Farreny, 5 juil. 2009
impuretés

Qu’est-ce donc qu’un texte poétique dans l’espace de la francophonie ? C’est une kyrielle de mots qui chantent encore et encore la beauté dans toutes ses nuances ; c’est le sourire de quelqu’un qui voyage vers tous ; c’est une missive inspirée par la flamme de l’amour et qui déploie pour l’utopie des ailes d’oiseau

[…]

Au réel, déjà dissous par la technique dans le virtuel, la langue en fête substitue les colombes de la propagande et l’abstraite ferveur des clichés. Tandis que l’écran dématérialise l’existence, l’écrit la délivre de ses impuretés. La terre et le terre-à-terre, le géographique et le trivial sont congédiés simultanément. L’angélisme triomphe avec l’artificialisme. Il n’y a de poésie, pour la culture en mouvement, que dans l’oubli lyrique du monde concret. Le oui extatique à la vie que profère cette muse est un non catégorique à l’intelligence de l’humain, et son grand message de paix et d’amitié, une fermeture au donné, froide, définitive, implacable.

Alain Finkielkraut, « Les transports lyriques de l’âme fermée », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 84-85.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
veille

Enfoui dans la nuit. Être enfoui tout entier dans la nuit, comme il arrive quelquefois qu’on enfouisse la tête pour réfléchir. Tout à l’entour, les hommes dorment. C’est une petite comédie qu’ils se donnent, une innocente illusion, de penser qu’ils dorment dans des maisons, dans des lits solides, sous des toits solides, étendus ou blottis sur des matelas, dans des draps, sous des couvertures ; en réalité, ils se sont retrouvés comme jadis, et comme plus tard, dans une contrée déserte, un camp en plein vent, un nombre d’hommes incommensurable, une armée, un peuple, sous le ciel froid, sur la terre froide ; chacun s’est jeté sur le sol là où il était, le front pressé sur le bras, le visage tourné vers la terre, respirant paisiblement. Et toi, tu veilles, tu es un des veilleurs, tu découvres le prochain veilleur en agitant le tison enflammé que tu prends au tas de brindilles, près de toi. Pourquoi veilles-tu ? Il faut que quelqu’un veille, dit-on. Il faut quelqu’un.

Franz Kafka, « Nocturne », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 569-570.

David Farreny, 7 août 2013
condition

– Je verrai tout cela à tête reposée, disait-il souvent, mais quand la condition fut remplie, la première pelletée de terre l’aveugla complètement.

Éric Chevillard, « jeudi 7 janvier 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 mars 2016

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