Je suis né dans une mansarde
d’où l’on entendait le matin
des laitiers qui drelin drelin
réveillaient les biberonneuses.
Ici naquit Georges Machin
qui pendant sa vie ne fut rien
et qui continue Il aura
su tromper son monde en donnant
quelques fugitives promesses
mais il lui manquait c’est certain
de quoi faire qu’on le conserve
en boîte d’immortalité.
Prendre l’air était son métier.
Georges Perros, Une vie ordinaire, Gallimard, p. 28.
Les Bures arrivés à l’âge adulte n’ont plus que peu de dents bonnes. La gabèdre en est cause. Cette larve active se loge volontiers dans la racine d’une dent, l’insensibilise, la creuse, et d’une dent saine en deux mois fait une morte.
L’homme ne s’inquiète pas, confiant dans l’aspect habituel de sa bouche. Cependant ses dents sont mortes.
Henri Michaux, « En marge d’Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 136.
De brusques montées d’horreur. Horreur de l’amour physique, de l’accouplement, à m’évanouir de dégoût. Horreur de la parole quotidienne, qui va de l’un à l’autre, et charrie toute notre vulgarité, notre mesquinerie, notre néant. Horreur de figurer dans une pièce sans queue ni tête, dans cette sale socialité. J’en suis arrivé à ne plus pouvoir me « changer ». Je porte le même pantalon, les mêmes godasses, la même veste, depuis des années. Bien forcé d’en rabattre, tout de même, avec le slip, la chemise, les chaussettes… Horreur qui se colle à moi, qui m’envahit, comment rentrer chez soi, comment supporter qu’on ne s’en aperçoive pas, qu’on me parle comme si de rien n’était ! Comment ne pas exploser, être dur, se faire rembarrer, rentrer dans le drame…
Georges Perros, Papiers collés (2), Gallimard, p. 103.
Ciel couvert, vent glacial. Je dépêche des paquets de copies et descends peindre, sans résultat appréciable.
Curieux de voir un peu où je vais, j’ouvre le carton dans lequel j’avais serré les barbouillages de l’an passé, ceux, plus précisément, où j’avais cru deviner « quelque chose ». L’âcre déconvenue ! C’est insipide, sans la moindre suggestion ! Comment peut-on se méprendre ainsi ?
Pierre Bergounioux, « dimanche 3 mai 1981 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 45.
je me hurle sous les racines au fond des éviers je me fléchette au plus sombre des cuisines je me démembre dans les ruelles d’Arles ou de Toulouse je me suicide aux vents de l’Atlantique je me tue la peau malade au sel des Saintes-Maries. Je n’ai plus de bouche et j’essaie de proclamer.
André Laude, « Testament de Ravachol », Œuvre poétique, La Différence, p. 223.
Seul le chien porte l’attente au niveau de la mystique.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 63.
Quand on pense à la cinquantaine qui guette les premiers hippies, le cœur se serre.
Paul Morand, « 16 octobre 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 635.
Finalement il dit à K. :
« Comme vous avez pu le remarquer, monsieur l’Arpenteur, j’ai bien eu connaissance de toute cette affaire. Si je n’ai encore rien fait, c’est d’abord à cause de ma maladie, puis parce que, ne vous ayant pas encore vu, je pensais que vous aviez renoncé à la chose. Mais, puisque vous avez l’amabilité de venir me voir personnellement, il faut bien que je vous dise toute la vérité, la désagréable vérité. Vous êtes engagé comme arpenteur, ainsi que vous le dites, mais malheureusement nous n’avons pas besoin d’arpenteur. Il n’y aurait pas pour vous le moindre travail ici. Les limites de mes petits domaines sont toutes tracées, tout est cadastré fort régulièrement. Il ne se produit guère de changement de propriétaire ; quant à mes petites disputes au sujet des limites, nous les liquidons en famille. Que ferions-nous dans ces conditions d’un arpenteur ? »
Bien qu’il n’y eût encore jamais réfléchi, K. se trouvait convaincu dans son for intérieur qu’il s’était toujours attendu à une déclaration de ce genre.
Franz Kafka, « Le château », Œuvres complètes (1), Gallimard, pp. 552-553.
Devant eux, une journée, une nouvelle journée, avec sa liberté et ses virtualités illimitées.
Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 90.
L’ineptie des visages peu mûrs, la misère des faces vieillies : ne passe-t-on l’essentiel de l’existence qu’à ajouter un prologue, puis un épilogue à soi-même ?
Petr Král, Cahiers de Paris, Flammarion, p. 230.