temps

Quand rien ne vient, il vient toujours du temps,

du temps,

sans haut ni bas,

du temps,

sur moi,

avec moi,

en moi,

par moi,

passant ses arches en moi qui me ronge et attends.

Le Temps.

Le Temps.

Je m’ausculte avec le Temps.

Je me tâte.

Je me frappe avec le Temps.

Je me séduis, je m’irrite…

Je me trame,

Je me soulève,

Je me transporte,

Je me frappe avec le Temps…

Oiseau-pic.

Oiseau-pic.

Oiseau-pic.

Henri Michaux, « Passages », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 335.

David Farreny, 12 mars 2008
tribunal

Je ne sais plus ce que c’est que le temps libre ni la paix. Toujours une grande voix sévère me rappelle combien je suis ignorant et que je vais mourir, qu’il ferait beau voir que je sois un instant sans chercher à comprendre ce qui s’est passé avant que tout finisse. Le tribunal siège en permanence.

Pierre Bergounioux, « lundi 28 janvier 1985 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 372.

Élisabeth Mazeron, 12 nov. 2008
nécessité

Au demeurant, on n’eschappe pas à la philosophie, pour faire valoir outre mesure l’aspreté des douleurs et l’humaine foiblesse. Car on la contraint de se rejetter à ces invincibles repliques : s’il est mauvais de vivre en nécessité, au moins de vivre en nécessité, il n’est aucune nécessité.

Nul n’est mal long temps qu’à sa faute.

Qui n’a le cœur de souffrir ny la mort ny la vie, qui ne veut ny resister ny fuir, que luy feroit-on ?

Michel de Montaigne, « Que le goust des biens et des maux dépend en bonne partie de l’opinion que nous en avons », Essais (I), P.U.F., p. 67.

David Farreny, 1er oct. 2009
élucider

Lorsqu’il fut avéré que je ne trouverais pas d’explication toute faite, que l’accident dont je portais les séquelles ne concernait que moi, le mouvement que je me donnais depuis des années, la théorie des jours gris où je m’enfonçais perdirent toute signification. J’avais remis à plus tard de vivre, par égard, d’abord, pour des morts que je n’avais jamais connus vivants, dans l’espoir, ensuite, d’obtenir les éclaircissements dont l’absence parachevait notre infortune. Je m’étais transporté sur le grand théâtre du monde. Ce que j’y avais lu, entendu ne m’était d’aucun véritable secours, ne valait qu’autant que ce qu’il y avait autour était à peu près dépourvu de corps, d’effet de réalité. Je n’étais pas venu préparer un avenir mais tenter d’élucider un passé.

Pierre Bergounioux, Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 78.

Élisabeth Mazeron, 28 mai 2010
désir

Le désir, un bien grand mot, c’est l’envie qui manque.

Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 24.

David Farreny, 27 juin 2010
du

Windisch presse son visage contre la vitre. Au mur du compartiment une photo de la mer Noire. L’eau est calme. La photo se balance. Elle est du voyage.

Herta Müller, L’homme est un grand faisan sur terre, Maren Sell, p. 118.

Cécile Carret, 4 sept. 2010
marquer

Aujourd’hui, je voudrais bien savoir si mon déménagement imminent va marquer un début ou une fin. Il est peut-être naïf de se poser une telle question à mon âge.

Marc Augé, Journal d’un S.D.F. Ethnofiction, Seuil, p. 14.

Cécile Carret, 27 fév. 2011
manquer

Autrefois, c’était la présence de désirs sexuels qui m’empêchait de m’exprimer librement devant les personnes dont je venais de faire la connaissance ; ce qui m’en empêche maintenant, c’est que je suis conscient d’en manquer.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 175.

David Farreny, 13 oct. 2012
volubilité

Six cents ans plus tard, la famille était assemblée autour de la table du déjeuner. Pour l’occasion, le père avait passé un veston de velours. Nous bûmes le vin de ses vignes. C’était un vin de dimanche, grisant, jeune et bavard, dévot, oisif, issu de malvasia, de trebbiano et de sangiovese. Cette litanie des cépages était le début de la volubilité. Nous parlâmes de contrées que ni eux ni nous n’avions visitées, de l’éducation des enfants, de la ville, de l’automne qui approchait, des vendanges.

Baptiste s’était endormi. Nous l’avions couché dans un grand salon frais, obscur, et sur le berceau se penchaient les tableaux champêtres, les bergers jouant du flûtiau, les nymphes dansant au clair de lune, le front et le crâne de saint Jérôme.

Thierry Laget, Provinces, L’Arbre vengeur, p. 117.

David Farreny, 20 juil. 2014
double

Röskilde. La cathédrale de briques sans grâce est le Saint-Denis du Danemark, avec ses gisants de pierre attroupés, dont le nom même est depuis longtemps silence (le Danemark, par une singulière fortune, n’a eu qu’un roi et qui n’a pas régné : Hamlet). Tout autour, le silence nordique des rues et des ruelles, fané et sédatif — plus engourdissant que celui de la Hollande — qui est celui des franges du monde habité : malgré la nécropole royale toute proche, on sent que le charroi brutal de l’Histoire n’a jamais éveillé cette calme et végétale bourgade : elle n’écoute que le vent bruissant qui remonte le fjord plat et passe sur les prés d’un vert cru, les cris des oiseaux de mer au-dessus de l’herbe, le carillon austère et luthérien qui tombe d’heure en heure des clochers. Il n’y a rien à chercher, rien à prendre à Röskilde : respirons une seconde le vent acide, hivernal encore en avril, qui souffle du Belt, arrêtons-nous quelques minutes à la pâtisserie, confortable et somnolente, pour manger un gâteau danois à la crème danoise, qui est une crème double, et partons — puisque nous n’avons pas assez de temps pour le seul, simple et profond plaisir que promet la ville et qui aurait été non pas d’y vivre, mais d’y dormir ; d’y dormir une vraie nuit danoise : une nuit double.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 241-242.

David Farreny, 20 oct. 2014
catégories

Les ressemblances physiques se resserrent après 50 ans, les visages se rangent alors plus nettement par catégories – certaines d’entre elles accueillent des foules de quasi-sosies. Comme, par ailleurs, les esprits formatés par la société brillent rarement par leur originalité, il ne reste pour distinguer les individus que leur histoire, leur passé, les événements qui ont jalonné leur existence. Tous monozygotes séparés à la naissance et dont les destins à nouveau convergent.

Éric Chevillard, « mardi 7 juin 2016 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 7 juin 2016

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