imposé

Marbœuf n’a pas encore quarante ans. Il est à la moitié de sa vie et a déjà imposé l’idée qu’il ne faudrait attendre aucun livre de lui.

Jean-Yves Jouannais, Artistes sans œuvres, Hazan, p. 65.

David Farreny, 14 avr. 2002
arrondi

Présence obsédante de l’eau. On suit des fleuves, c’est relayé par des canaux. Il y a ces étangs du dimanche, creusés en arrondi au bulldozer, et tout autour des bancs sans dossier ni ombre. Arbres minces en tuteur, et une cabane en tôle. Un grillage haut avec portail fer forgé qui a dû coûter plus cher que le terrain.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 9.

David Farreny, 24 janv. 2003
restaurer

La vie est ainsi faite que, pour la supporter, il faut de temps en temps la déposer, reprendre un peu haleine, et comme se restaurer d’un léger avant-goût de la mort.

Giacomo Leopardi, « Cantique du coq sauvage », Petites œuvres morales, Allia, p. 177.

David Farreny, 9 nov. 2005
auget

Devant l’étagère à livres. Je m’en sortis un dont la couverture illuminait à peu près convenablement ma face ; dos de cuir vert foncé avec étiquette vert clair : “J.A.E. Schmidt, Manuel de la langue française, 1855”. Je l’ouvris au hasard page 33 : “Auget = petit canal de planche où l’on enferme le saucisson de poudre” – je me pinçai la cuisse pour m’assurer de mon existence : saucisson de poudre ? ? ! ! (et de toute ma vie, cet “auget” je ne l’oublierai plus ; c’est une punition que d’avoir une mémoire en acier trempé !).

Arno Schmidt, « Un météore en été », Histoires, Tristram, p. 84.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
fusion

La compréhension d’une langue ne doit rien à la traduction, on n’apprend jamais dans l’enfance une langue en la faisant passer par l’autre, bien au contraire. Le français, d’emblée, a pris place en moi, et aucune tournure, aucun mot jamais ne me parurent étrangers, ils m’étaient familiers comme depuis toujours.

C’est peut-être l’une des propriétés de la langue française de tout de suite se situer dans l’intimité corporelle de celui qui parle. Or ma langue maternelle, l’allemand, que bien sûr je possède à l’égal du français et dans laquelle j’écris aussi, ne m’a jamais, pas même dans l’enfance, donné cette impression de fusion, comme si l’allemand faisait moins la part de chacun, mais contraignait de toute façon à une participation sonore qui engage plus le corps : il faut respirer à fond pour parler allemand, plus déployer la cage thoracique. Il oblige l’âme davantage, en lui permettant moins d’échapper à une armature linguistique plus contraignante. De plus, les Français parlaient tout autrement aux enfants que les Allemands, sans le timbre de voix mièvre et traînard. L’allemand employé pour s’adresser aux enfants est parlé d’une voix de tête qui simule l’affection. Il prend presque toujours un côté démonstratif mignard et menteur qui m’avait toujours fait peur : les gens qui parlent ainsi aux enfants peuvent tout aussi bien les étrangler, vite fait.

Le français donne une impression d’indifférence, de distance, comme si la langue vous laissait libre, comme si l’ensemble du vocabulaire et une certaine confusion grammaticale laissait plus d’échappées et comme s’il était plus facile qu’en allemand d’y prendre la clé des champs et d’y garder son quant-à-soi. C’est une langue d’intérieur faite pour être parlée dans des maisons avec de grandes fenêtres et des tapisseries à fleurs. C’est une langue souple et rassurante, la langue de la connivence, qui permet d’échanger bien des choses non dites cachées sous les mots.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 177.

Cécile Carret, 15 juil. 2011
décomposé

Certains airs sont du trot, avec un rythme aussi décomposé que la musculature d’un cheval.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 132.

Cécile Carret, 28 juin 2012
calvinisme

« C’est un homme comme vous et moi ! » m’a-t-il assuré avant de se rendre compte de la bêtise qu’il proférait, et puis me regardant en souriant, se remettant de lui-même à sa place : celle d’un chauffeur, quoiqu’il fût surtout instituteur et travaillât comme chauffeur, l’été, pour arrondir ses fins de mois.

Il m’a parlé plus librement du baryton, le disant généreux, drôle, séduisant, pourvu même d’une copine.

« Une copine ? » ai-je répété, aussi agacé par ce mot que par l’adjectif « sympa », et inquiet de savoir quelle femme accepterait de coucher avec un gnome, sinon, peut-être, une prostituée ou une actrice de films pornographiques spécialisés.

« Oui, une femme qui le suit partout.

— Une groupie ?

— Non, une femme normale », a-t-il fini par dire, sans se rendre compte de l’ambiguïté de l’adjectif normal, souriant doucement comme on le fait lorsqu’on évoque un maître qui témoigne de la bonté, sans entrer dans les détails auxquels nous pensions tous deux, sur cette terre calviniste, songeant, moi, qu’il ne pouvait faire l’amour que d’une seule manière, allongé à la façon d’une divinité priapique, et que la femme que j’avais vue avec lui devait avoir un rôle avant tout hygiénique, consolateur, maternel.

« En tout cas, il n’est pas laid, ai-je murmuré.

— Et pourquoi le serait-il ?

— C’est quand même un gnome. Une espèce de monstre. »

Pour un peu, le chauffeur m’aurait jeté par la portière ; mais ce vertueux, cet indigné, qui rêvait de venger son ami d’un soir, était bridé par son calvinisme.

Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, p. 143.

David Farreny, 27 sept. 2012
intégrité

Chaque mot de la phrase doit défendre contre tous les autres – qui la menacent – l’intégrité de sa signification.

Éric Chevillard, « vendredi 5 avril 2013 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 5 avr. 2013
vieilles

Il y avait dans le paysage, jusque dans les années 70, une stabilité et une inertie toute séculaire. Les vieilles fermes au coin des routes. Les choses avaient une force placide, une pesanteur. Le sentiment du monde était écrasant.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 80.

Cécile Carret, 22 sept. 2013
ressuscite

Schubert. Quintette pour deux violoncelles. « La musique ressuscite ce qui n’a jamais été. »

Est-ce la première fois qu’on enfonce mot pour mot cette porte ouverte ? Je l’ignore et comme je n’aime pas usurper, je m’offre prudemment des guillemets.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 39.

David Farreny, 8 oct. 2014
mésaventure

Nos proches devraient prendre soin de mourir à un moment où nous ne traversons pas une période d’atonie. Sans quoi, quel effort pour s’intéresser à leur mésaventure !

Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 944.

David Farreny, 7 mars 2024

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