régurgité

Quant aux kangourous, puisqu’il est inconcevable de parler de l’Australie sans évoquer les kangourous, « on en tirait, pour les manger, jusque dans le camp ».

Ayant bu de la bière, tué des marsupiaux, mangé de la poussière et sympathisé avec les Aborigènes, Gérard est définitivement régurgité par l’Australie au bout de deux ou trois mois de dissensions conjugales et de vaines démarches.

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 185.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
personne

Un homme à qui personne ne plaît est bien plus malheureux que celui qui ne plaît à personne.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 106.

David Farreny, 22 oct. 2004
autrefois

Les vieillards d’autrefois étaient moins malheureux et moins isolés que ceux d’aujourd’hui : si, en demeurant sur la terre, ils avaient perdu leurs amis, peu de chose du reste avait changé autour d’eux ; étrangers à la jeunesse, ils ne l’étaient pas à la société. Maintenant, un traînard dans ce monde a non seulement vu mourir les hommes, mais il a vu mourir les idées : principes, mœurs, goûts, plaisirs, peines, sentiments, rien ne ressemble à ce qu’il a connu. Il est d’une race différente de l’espèce humaine au milieu de laquelle il achève ses jours.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 235.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
comme

Et à plat, toujours regagnant le plat, elle luisait comme une petite flaque. Mandex la prit et l’étala sur sa main à hauteur de leur visage et, tentant de l’y retenir mais sans l’attraper, il la vit glisser entre ses doigts, fuyant de tous côtés, doucement, toujours sans offenser, quittant les hauteurs comme de l’eau, du sable. Bien par terre, je ne suis bien que par terre. Sa tranquillité les apaisa comme une suprématie facile. Parce qu’ils ignoraient son usage, ils lui prêtèrent une profondeur psychologique, et pourquoi pas, un exemple à suivre.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 111.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
impossible

Dimanche atroce. Hier je reçois une lettre de N. : « Arrive demain… » Pas moyen de lui répondre, sinon par télégramme, et comment écrire un télégramme ? J’ai passé une mauvaise nuit, puis bien obligé d’aller la chercher à la gare, à huit heures. J’avais ma gueule impossible — impossible d’en avoir une autre — et je pensais à toute la journée qu’il faudrait passer. Je l’ai emmenée sur le port, nous avons bu du café, puis les heures avançaient quand même ; restaurant. L’après-midi, je l’ai traînée voir des amis à la Pointe du Leydé. Dès qu’elle me touchait, c’était affreux. Nous sommes revenus à cinq mètres l’un de l’autre, elle pleurant, moi sifflotant. Horrible. Enfin, à six heures, dans ma piaule, j’ai pris mon courage à deux ou trois mains, lui ai certifié que j’étais incapable d’aimer qui que ce soit, sinon n’importe qui, dans la rue, comme ça, et après bien des larmes, elle est repartie passer toute la nuit dans le train. Pauvres êtres que nous sommes.

Georges Perros, « Feuilles mortes », Papiers collés (3), Gallimard, pp. 279-280.

David Farreny, 27 mars 2012
bluffer

Cependant, les jeunes abandonnent ces forêts nourricières à cause des filles qui ne veulent plus vivre dans la solitude ; qui veulent être « sapées » en citadines – vont crever la faim à Clermont-Ferrand et reviennent bluffer le dimanche au pays.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 61.

Cécile Carret, 18 juin 2012
intercession

Je continuai d’avancer — avec à ma droite le complexe ferroviaire et à ma gauche l’aqueduc, dont les arches ici ne s’arrondissent plus que sur leur comblement, l’édifice devenant un simple mur où se dessine maigrement sa découpe d’origine — vers cet homme qui ne bougeait pas et qui paraissait, la tête un peu penchée vers l’avant, plongé dans une réflexion. Je dus parvenir à sa hauteur pour constater que, de la main droite, il tenait la poignée d’un mécanisme d’enroulement d’où s’étirait une courte longueur de laisse, au bout de laquelle un frêle représentant de l’espèce canine, la patte levée, urinait contre la clôture. Scène banale, en vérité, et qui s’accordait bien avec un environnement où l’aqueduc, redevenu mur et perdant de sa hauteur, tendait à revêtir une dimension humaine.

Pourtant, comme je le découvrais, je marquai le pas, frappé par l’attitude pensive de l’homme. Il me ressouvenait, en effet, et de manière frontale, sans que je pusse refouler en rien une telle vision, d’avoir surpris mainte fois semblable attitude chez tel usager de toilettes publiques, dont presque toujours, comme on sait, à la faveur de la miction, l’esprit se libère et vagabonde. L’homme, ici, qui n’entretenait avec le soulagement de l’animal qu’un lien de pure forme, en l’espèce de la laisse, semblait donc, néanmoins, en bénéficier intellectuellement, comme s’il se fût agi du sien ; et, partant de ce rapprochement, j’en vins à me représenter la scène d’une tout autre manière, aussi crue qu’obsédante, au point que je ne pouvais plus désormais l’imaginer autrement : dans cette vision nouvelle, qui complétait définitivement l’ancienne, la laisse, faisant figure de tuyau, permettait à l’homme, par une magique intercession de sa main refermée sur l’enrouleur, de se soulager sans qu’il en parût rien, là-bas, sous la patte levée de la bête, le long de ce conduit où de façon à peine masquée son animalité se transférait vers quelque représentant plus propre, par sa quadrupédie, à l’incarner. Il y avait là, dans la trivialité d’une telle évocation, dans le trajet maintenant trop visible de cet écoulement, quelque chose aussi de la prothèse et de l’hôpital, et, jetant à l’homme un seul bref regard de côté, j’allai mon chemin, en proie à une sensation mêlée de dégoût et de spoliation, comme blessé d’avoir été si aisément trompé par cette pauvre mise en scène, et persuadé de toute façon que, bien qu’elle fût le fruit de ma seule imagination, l’homme qui s’y était distingué en était pour partie responsable et devait en tout état de cause rendre compte de sa supercherie et de son inconvenance.

Christian Oster, Le pont d’Arcueil, Minuit, pp. 102-103.

David Farreny, 14 mars 2013
fine

J’aime la ville moi aussi. De la terrasse de l’immeuble de ma maison d’édition, je vois jusqu’à l’aéroport, où inaudibles dans le lointain, des avions atterrissent et décollent. Cela donne une image très fine qui me vivifie jusqu’au plus intime de moi-même.

Peter Handke, La femme gauchère, Gallimard, p. 62.

Cécile Carret, 26 juin 2013

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