treuil

Il avait toujours rêvé de n’être relié au monde que par un regard immobile et tenu, comme un filet d’eau qui ne tombe pas, ne se divise pas, mais renouvelle son équilibre et son silence. On ne le sut qu’après : son regard était un câble enroulé au treuil du fond des vases.

Michel Besnier, Un lièvre en son gîte, Folle Avoine, p. 75.

David Farreny, 24 mars 2002
et

Mon bonheur serait parfait, n’était la fugitive angoisse d’en fouiller le secret pour le retrouver demain et toujours.

Cesare Pavese, Le métier de vivre, Gallimard, p. 83.

David Farreny, 24 mai 2003
détour

Tel est le fond de la triste nature que j’ai touchée en dotation pour le détour par la vie.

Pierre Bergounioux, « dimanche 1er avril 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 294.

Élisabeth Mazeron, 11 nov. 2008
nihilité

Ses propos cyniques, ricanants, me laissent, comme tous ceux qu’il me tient, depuis trente-neuf ans, dépité, malheureux. Et je songe, étant homme, capable de recul, désormais, aux ravages qu’ils occasionnaient, jour après jour, chez le gosse que je fus, à la plaie ouverte, inguérissable, qu’ils m’ont laissée. Je sais d’où viennent la difficulté, les complications, le danger mortel qui enveloppe, a priori, toute interaction où je sois impliqué, le sentiment violent de ma nihilité, puisqu’elle m’a été signifiée sans ménagement aussitôt que j’ai su ce que parler voulait dire, l’amour immodéré de la solitude qui en a résulté, l’oreille complaisante que je prête à la tentation chronique de crever, et ce besoin violent, rétroactif, d’explication, de vérité, de paix, qui me tient du matin au soir sur mon papier.

Pierre Bergounioux, « samedi 22 octobre 1988 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 738.

Élisabeth Mazeron, 1er janv. 2009
tronqué

En tout point de ce livre-ci se présentent des sorties vers tous les autres livres, ou d’augustes portails, semblables à ceux de parcs magnifiques et profonds qu’il faudrait visiter en chemin mais dont nous sentons bien que pour en goûter l’enchantement, ou pour en apprécier comme il le mérite l’ordonnancement savant, il faudrait non pas nous arrêter là quelques heures mais séjourner longuement, et soumettre nos impressions aux variations de la lumière, des conditions atmosphériques, des saisons de l’année et des âges de la vie. Tout sens est deuil du sens, renonciation, choix forcé, destin tronqué, mais c’est cela ou rien. Pourtant nous n’oublions pas que nous aurions pu consacrer notre existence, aussi bien, à la compréhension presque totale de l’Aréopagite et de ses liens avec la mystique rhénane, à l’entretien ruineux du jardin de Kinloch Castle, sur l’île de Rum, dans les Hébrides, au soulagement des épreuves des immigrés clandestins dans le camp de rétention de Sangatte, près de Calais, ou bien à la connaissance impeccable, et qu’il faudrait avoir simultanément présente à l’esprit, en permanence, du réseau des chemins et sentiers d’un triangle Estramiac-Pessoulens-Tournecoupe. Il faudrait un aleph. Et le vrai sujet de ce livre, c’est son impuissance à entrer dans son sujet ; c’est K. tournant autour du Château ; c’est Bloch ne comprenant pas qu’il fatigue parce que le sens lui-même est fatigué et que l’usage du monde, la politesse, la distinction, la culture elle-même, c’est le clair sentiment de cette fatigue du sens, auquel il ne faut pas trop demander, ni porter une foi trop vive.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., pp. 242-243.

David Farreny, 10 mai 2009
veux

C’est le côté pascalien du Castor : l’univers peut m’écraser mais il ne le sait pas. Et ma victoire sur lui est infinie, parce que je pense, et parce que je veux.

Danièle Sallenave, Castor de guerre, Gallimard, p. 335.

Élisabeth Mazeron, 21 mai 2009
concentré

Oui, c’était avec cette lenteur, cette réflexion, ce silence, en ne se laissant troubler par aucune société, totalement concentré sur moi seul, sans conseils, sans louanges, sans attente, sans revendication, sans arrière-pensée aucune que je voulais plus tard exercer mon travail. Quel qu’il fût, il devait correspondre à l’activité que j’avais ici sous les yeux et qui si manifestement ennoblissait celui qui l’exécutait en même temps que son témoin de hasard.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 45.

Cécile Carret, 4 août 2013
bas-monde

D’un côté, les choses vont bien pour moi. […] Je suis bien adaptée à ce bas-monde, je ne suis pas une petite nature. Ma grand-mère transportait du fumier. D’un autre côté, je ne vois que des signes négatifs. Je ne sais plus pourquoi je suis sur terre. Je ne suis indispensable à personne, je suis là et j’attends, et, pour l’instant, je n’ai ni but ni tâche en vue. Je n’ai pas pu m’empêcher de me remémorer avec intensité une conversation que j’ai littéralement soutenue avec une intelligente Suissesse, et tout au long de laquelle, en réaction à tous les projets d’amélioration du monde, je m’accrochais à cette phrase : «  La somme des larmes reste constante.  » Quelles que soient les formules ou les bannières auxquelles les peuples se rallient, quels que soient les dieux auxquels ils croient ou leur pouvoir d’achat : la somme des larmes, des souffrances et des angoisses est le prix que doit payer tout un chacun pour son existence, et elle reste constante. Les populations gâtées se vautrent dans la névrose et la satiété. Ceux auxquels le sort a infligé un excès de souffrances, comme nous aujourd’hui, ne peuvent s’en sortir qu’en se blindant. Sinon, j’en viendrais à pleurer jour et nuit. Or, je le fais tout aussi peu que les autres. Il y a là une loi qui régit tout cela. N’est apte au service que celui qui croit à l’invariance de la somme terrestre des larmes, n’a aucune aptitude à changer le monde ni aucun penchant pour l’action violente.

Anonyme, Une femme à Berlin. Journal, 20 avril-22 juin 1945, Gallimard, p. 176.

Cécile Carret, 27 août 2013
instrument

J’ai de plus en plus souvent le sentiment que mon écriture ne manque pas une occasion de se faire l’instrument même de mon étiolement intérieur.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 188.

David Farreny, 16 oct. 2014
gens

Les gens ne fument plus ; ils ne se demandent plus de feu. Les gens ont tous une horloge et un GPS sur leur téléphone ; ils ne se demandent plus l’heure ni le chemin. Cette fois, je crois bien que nous n’avons plus rien à nous dire.

Éric Chevillard, « vendredi 26 avril 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 mai 2024

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