littérature

Si la littérature approche et rencontre parfois la vérité c’est qu’elle est un des chemins détournés du retour à la vie.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 33.

David Farreny, 31 déc. 2005
ponctuelle

Or, la vie perdure, ponctuelle

et multiple

comme l’horloge de Strasbourg.

Norge, Poésies 1923-1988, Gallimard, p. 28.

David Farreny, 24 sept. 2006
sus

Il est cinq heures vingt-cinq, on voit encore un morceau de soleil reflété sur l’hôtel d’en face, j’ai les yeux rouges d’avoir tant pleuré, je suis toujours malade de cette grippe étrange, sans fièvre, qui dure maintenant depuis deux semaines. Me voici restitué à ma rive natale. Exténué, ayant perdu tout espoir dans le seul domaine qui m’importait vraiment, je me sens comme un condamné à mort inexplicablement gracié, dont la vie désormais est en sus de la vie : un temps luxueux, inespéré, gratuit, dont il n’aurait pas la responsabilité.

Renaud Camus, « samedi 12 mars 1977 », Journal de « Travers » (2), Fayard, p. 1550.

David Farreny, 1er mars 2008
aveu

Eh bien, cette propension à l’aveu que je manifeste de temps à autre vient, me semble-t-il, de deux sources bien différentes. La première étant, comme j’ai dit, la certitude bien ancrée qu’aucun aveu ne change quoi que ce soit à sa propre personnalité, ne guérit ni n’aggrave ses éventuelles failles, la certitude anti-psychanalytique en somme — une des seules peut-être qui ne m’aient jamais quitté, avec celle de l’inexistence de Dieu. La seconde étant une extraordinaire surestimation de moi-même dont il m’arrive de temps à autre d’être victime, et qui m’amène à penser qu’aucun aveu ne pourra épuiser l’indéfinie richesse de ma personnalité, qu’on pourrait puiser sans fin dans l’océan de mes possibles — et que si quelqu’un croit me connaître, c’est simplement qu’il manque d’informations.

Je me sens parfois comme Nietzsche jugeant bon, dans Ecce homo, de livrer à l’impression le détail de ses habitudes alimentaires, comme son goût pour le « cacao fortement dégraissé », persuadé qu’il était que rien de ce qui le concernait ne pouvait être absolument sans intérêt (et le pire est que ce sont des pages qu’on lit, en effet, avec un certain plaisir ; des pages qui, peut-être, survivront à Ainsi parlait Zarathoustra).

Michel Houellebecq, Ennemis publics, Flammarion-Grasset, pp. 47-48.

David Farreny, 18 sept. 2009
rougit

Ce qui fait la dignité des êtres humains, c’est leur capacité à s’élever au-dessus des passions nées de l’égoïsme et à se placer sous l’empire de la loi morale. Il y a un abîme, autrement dit, entre le respect de soi et l’autosatisfaction. L’humanité n’est pas agréable : elle terrasse la présomption, elle humilie les penchants, elle est la part de nous-même qui rougit de nous-même. Or, scande l’époque, il ne faut plus avoir honte : la rougeur n’est pas l’afflux de l’humain, mais un symptôme pathologique.

Alain Finkielkraut, « Sauve qui peut le respect », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 252.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
interstitiel

Je suis en train d’étendre la lessive, derrière la maison, qui jouxte un bois communal, en fin d’après-midi. Il se produit un froissement et l’épais roncier, tout près, s’ouvre sur une énorme bête noire – le mot est venu tout seul, tout bas – qui s’immobilise à dix pas de moi, une chemise mouillée à la main, la pince à linge dans l’autre. L’animal me jette un regard, marque un temps d’arrêt, puis me jugeant inoffensif, négligeable, se met à trottiner sur les petits sabots qui lui font une démarche de ballerine mais qui, au lieu d’un corps élancé, nimbé de taffetas blanc, serait encombrée d’une lourde carcasse en forme de coin, hérissée de longs poils rêches et pourvue, avec ça, d’une paire de fortes défenses jouant sur les grès. J’ai pensé que mon visiteur allait s’évanouir aussi soudainement qu’il avait surgi, que le temps interstitiel, latéral ou rêvé qui nous remet en présence des bêtes, était déjà écoulé. Pas du tout. Il faisait des pointes autour du fourré, reprenait sa danse et j’ai fait la même constatation qu’avec le chevreuil que j’avais tenu, lui, en joue, avant de le laisser aller. La même créature d’un noir intense, comme encrée ou taillée dans de la nuit, adoptait, l’instant d’après, la teinte terne du sous-bois. Le quintal de muscles, au bas mot, qu’elle pesait, s’était évanoui. Puis l’œil, qui projetait un peu au hasard sa forme sauvage, devant lui, la voyait se remplir un peu plus loin, affairée, comique, obstinée. L’animal a tourné un quart d’heure sous mon nez. J’ai pensé qu’il allait se bauger dans les ronces, qu’on passerait la nuit à quelques pas l’un de l’autre, en paix. Mais quelque chose ne lui convenait pas. Il a grogné puis, sans hâte, s’est perdu dans le sous-bois. Voilà.

Pierre Bergounioux, Chasseur à la manque, Gallimard, p. 46.

Cécile Carret, 14 avr. 2010
affligeant

Il n’est pas sur cette planète un village qui puisse s’enorgueillir de cette naissance – honte sur nos villages ! À quoi bon ces communes qui n’enfantent que les clairons et les tubas de la fanfare municipale ? Et n’est-il pas affligeant, quand on sait tout l’osier qui a poussé sur cette terre depuis l’aube des temps, n’est-il pas affligeant de penser qu’il ne s’en trouva pas douze brins pour tresser le berceau à Dino Egger ? Il y a de bonnes raisons de pleurer, nous en possédons tous un joli lot dont nous sommes du reste assez jaloux, mais celle-ci est sans doute la seule qui nous soit commune.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 13.

Cécile Carret, 25 janv. 2011
airs

Le géant charge donc l’arbre sur son épaule, tandis que le rusé petit tailleur dans son dos s’assoit à califourchon sur une branche. Puis il se met à plaisanter, à parler de choses et d’autres, à chantonner. Il sifflote des airs du métier, Trois Tailleurs s’en vont chevauchant, La Femme du drapier, J’ai raté mon ourlet, Une boutonnière hop là ! deux boutonnières, L’Aiguille et la bobine, Rapièce, mon gars, Pauvre tailleur, Suzon, t’assieds pas sur mes épingles, Fil blanc fil noir, comme s’il se jouait de l’effort et que ce fardeau ne pesait rien.

— On pose ? demande parfois le géant d’une voix qui s’altère.

— Poser quoi ? Continuons !

Et d’entonner La Complainte du dé à coudre.

— On pose ?

— Pourquoi donc ? Continuons !

Et d’entonner Rien n’est beau comme un col en loutre.

— On pose ?

— Nous n’y sommes pas encore, continuons !

Et d’entonner Mon velours et ta flanelle.

Éric Chevillard, Le vaillant petit tailleur, Minuit, p. 68.

Cécile Carret, 25 avr. 2011

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