courrier

Un courrier n’est pas une lettre, une lettre ne saurait être un courrier. D’ailleurs, à moins qu’on veuille désigner une personne — ce qui n’est plus très fréquent —, ou que le mot soit accompagné d’un adjectif qualificatif (« Elle reçoit un courrier très abondant »), on ne saurait parler d’un courrier. C’est du courrier qu’il faut dire :

« Y a-t-il du courrier pour moi ?

— Bien sûr que non, vous êtes bien trop chiant ! Qui voulez-vous qui vous écrive ? »

Renaud Camus, « lundi 16 janvier 1995 », La salle des pierres. Journal 1995, Fayard, p. 46.

David Farreny, 20 mars 2002
professeurs

La collectivité s’est maintenant, d’un consentement à peu près unanime, donné pour maîtres à penser des professeurs.

Jean Dubuffet, Asphyxiante culture, Minuit, p. 13.

David Farreny, 14 avr. 2002
paquet

Le paquet de copies est là ; il me regarde, je le regarde, on se regarde. C’est un moment d’intense désir.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 50.

Cécile Carret, 4 mars 2010
suicide

Suicide is caring about what other people think and is to do with pride. Suicide is about other people and self-pride. Suicide is caring about what other people think. Suicide is about caring. The “not carers” go on living : badly.

Kenneth Williams, « Saturday, 16 April 1977 », Diaries, Harper Collins, pp. 538-539.

David Farreny, 16 mars 2010
bâillante

Dieu sait quel désir avait à ce point levé la terre et les arbres sur la terre et le ciel parfait au-dessus des arbres. L’homme qui croyait savoir, d’expérience et de réflexion, l’essentiel de la vie, n’en revenait pas de la densité de joie qui fixait le temps aux marges infimes de l’éternité. De hautes fleurs bleues balançaient leurs clochettes. Il aurait fallu respirer sans bouger et que, dans les veines, le sang courût sans mouvements. Alors peut-être, proie toute pure de sa ferveur, l’homme eût-il atteint ce qu’il était venu chercher : un souvenir aboli, un mot oublié, un désir inconnu — la vérité dont son être était le fruit égaré, la plénitude de ce qui n’avait guère été jusqu’à présent, chez lui, que le vide, le creux, la vallée bâillante et sans foi.

Claude Louis-Combet, « La tombe à son plus haut point », Rapt et ravissement, Deyrolle, p. 38.

Élisabeth Mazeron, 29 mars 2010
universalisme

Mieux, un groupe de Français est en train de parlementer avec le personnel de la Lufthansa, visiblement débordé. Il y a Michel, Serge, Didier, Jean-Pierre, les uns de mon âge, les autres nettement plus jeunes, tous également bruyants, volubiles, bêtes, très contents les uns des autres et chacun de soi-même. Ils sont surchargés de bagages et entendent introduire une planche à voile — « de compétition » — en cabine. Lorsque le steward allemand annonce que son propriétaire ne partira pas s’il ne se conforme pas au règlement, un des copains déclare, d’une voix ferme : « Alors, personne ne partira. » L’universalisme abstrait de la culture française.

Pierre Bergounioux, « jeudi 5 juillet 2001 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, pp. 90-91.

David Farreny, 19 janv. 2012
spirites

À l’aube, des disputailleries de corvidés sur une grue voisine, nettement audibles dans le demi-sommeil. À ces cris qui semblaient parfois excédés d’en être réduits à l’inarticulé, sont venus se superposer des lambeaux de rêves qui, pour tâcher de leur donner un sens, proposaient d’y voir quelque chose comme la naissance d’un langage — voire du langage lui-même. Le réveil a remis les choses en place en démontant brutalement l’ingénieux petit échafaudage mental. « Les spirites ne travaillent pas au soleil » (P. Valéry).

Gilles Ortlieb, « Vraquier », « Théodore Balmoral » n° 68, printemps-été 2012, p. 98.

David Farreny, 19 mars 2013
instant

Je vis à fond l’instant passé.

Éric Chevillard, « mardi 2 juillet 2013 », L’autofictif. 🔗

Cécile Carret, 2 juil. 2013
vieillissement

Le vieillissement des oncles, leur lent au-revoir.

Ce lent effacement des visages glorieux, cette longue distillation du changement dans les traits.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 109.

Cécile Carret, 25 sept. 2013
justesses

À propos de Charade, téléphonage de Sauveur, à l’instant. Mais Ph. était à proximité, et bien que je ne souhaite faire nul secret, j’en étais gêné pour parler, comme chaque fois que je dois entretenir un échange avec deux personnes à la fois, ou bien avec une seule mais en la présence d’un témoin. Il ne s’agit nullement de ce qu’on peut dire ou ne pas dire, il s’agit d’une question de ton, d’un problème de justesse musicale, en somme. Il s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la conception vague mais persistante que je peux me faire du langage, du discours, de la vérité, auxquels je ne sais pas prêter de vérité stable, absolue, mais seulement des justesses de circonstance, partielles, historiques, dépendantes de l’heure ou du siècle, de l’humeur ou du “locuteur”.

Renaud Camus, « Paris, rue Saint-Paul, samedi 31 décembre 1988, 6 heures et demie du soir », Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 370.

David Farreny, 7 mars 2024
infidélité

On dirait que la matière, jalouse de la vie, s’emploie à l’épier pour trouver ses points faibles et pour la punir de ses initiatives et de ses trahisons. C’est que la vie n’est vie que par infidélité à la matière.

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1023.

David Farreny, 8 mars 2024

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