boire

Après les circonstances que je viens de rappeler, ce qui a sans nul doute marqué ma vie entière, ce fut l’habitude de boire, acquise vite. Les vins, les alcools et les bières ; les moments où certains d’entre eux s’imposaient et les moments où ils revenaient, ont tracé le cours principal et les méandres des journées, des semaines, des années. Deux ou trois autres passions, que je dirai, ont tenu à peu près continuellement une grande place dans ma vie. Mais celle-là a été la plus constante et la plus présente. Dans le petit nombre des choses qui m’ont plu, et que j’ai su bien faire, ce qu’assurément j’ai su faire le mieux, c’est boire. Quoiqu’ayant beaucoup lu, j’ai bu davantage. J’ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent ; mais j’ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent.

Guy Debord, Panégyrique, Gallimard, p. 41.

Guillaume Colnot, 18 juil. 2002
comme

J’ai parlé cette semaine, au téléphone, à propos de Plieux et de ce que je souhaiterais y faire, à toutes les autorités officielles de la culture dans la région. J’ai été en rapport avec tous les bureaux. Et chaque fois, chaque fois, il m’a fallu me présenter comme un jeune homme, expliquer que j’étais écrivain, faire feu de tous mes maigres titres de notoriété (il n’y a guère que la villa Médicis qui semble établir aux yeux de ces gens que je ne suis pas quelque excité farfelu). « Pas un mot qui connaisse nos livres », comme disent mélancoliquement les Goncourt, après une rencontre avec des cousins à eux ; mais les cousins devaient connaître leur nom, au moins, tandis que moi c’est éternellement « Camus C.A.M.U.S ? », voire « C.A.M.U ? », ou bien « comme l’écrivain ? ». Si j’écrivais mon autobiographie (mais je ne fais que ça, évidemment), je pourrais l’intituler Comme l’écrivain.

Renaud Camus, « samedi 27 février 1993 », Graal-Plieux. Journal 1993, P.O.L., p. 60.

David Farreny, 1er août 2002
attendre

Que faire ? Rien. Attendre. Ne pas mentir. Ne pas trop parler non plus, quand on ne nous demande rien. Pas de cachotteries, pas d’exhibitionnisme.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 253.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
colère

Tout ce que tu dis dans la colère, le babouin l’a crié avant toi.

Éric Chevillard, Oreille rouge, Minuit, p. 128.

David Farreny, 20 nov. 2005
vie

Averse nocturne

il pleut sous le réverbère

mille gouttes rebondissent

touche ton radiateur

hmm sens comme il est chaud

puisque tu donnes ta vie

pour n’être pas

sous le réverbère

Jean-Pierre Georges, Je m’ennuie sur terre, Le Dé bleu, p. 71.

David Farreny, 16 juin 2006
lune

Tout près du clocher de l’église Saint-Étienne et d’un seul coup, comme si on avait appuyé quelque part sur un bouton secret, la lune a surgi entre les nuages, et le choc de sa puissante et lugubre clarté a comme fait vibrer toute la ville endormie.

Dezsö Kosztolányi, Alouette, Viviane Hamy, p. 169.

Cécile Carret, 4 août 2012
saisir

Ces jours de rien, sans rien, sans signes particuliers, et d’ailleurs sans signes du tout, ces jours traînés, oscillants, nuls, si nombreux – peut-être que c’est d’eux qu’il faudrait partir pour saisir le fil rouge, mais d’un rouge pâli, éteint, qui tient tout ensemble : tout, non pas l’édifice (quel édifice ?), mais les feux lointains et les feux rapprochés, les élans et les retombées, le cœur de la fabrique et les copeaux errants, la pensée : là où elle n’a pas d’air ni d’allure, là où elle est stoppée, rongée, négative, incapable de parvenir jusqu’à une aire qui ne serait pas celle des bribes, des commencements et des repentirs mais celle d’une sorte – oui – d’envol, de vol plané…

Jean-Christophe Bailly, Tuiles détachées, Mercure de France, p. 7.

Cécile Carret, 27 mars 2015

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