simples

Je me souviens qu’à l’âge de dix-sept ans, alors que j’exprimais des opinions contradictoires et perturbées sur le monde, une femme d’une cinquantaine d’années rencontrée dans un bar Corail m’avait dit : « Vous verrez, en vieillissant, les choses deviennent très simples. » Comme elle avait raison !

Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, pp. 109-110.

David Farreny, 24 mars 2002
quelqu’un

Colline et arbres fruitiers, et puis, là-bas vers le haut, sous les pommiers, trois épaves de voiture dont une brûlée, que quelqu’un garde.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 35.

David Farreny, 24 janv. 2003
classique

C’est le samedi que la décrue s’amorça. On revint au quaternaire tardif. Aux moussons succéda un hiver frisquet, classique. La rivière regagna son lit cloisonné de quais obliques, sanglé de ponts.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, p. 19.

David Farreny, 24 nov. 2005
âcre

Ciel couvert, vent glacial. Je dépêche des paquets de copies et descends peindre, sans résultat appréciable.

Curieux de voir un peu où je vais, j’ouvre le carton dans lequel j’avais serré les barbouillages de l’an passé, ceux, plus précisément, où j’avais cru deviner « quelque chose ». L’âcre déconvenue ! C’est insipide, sans la moindre suggestion ! Comment peut-on se méprendre ainsi ?

Pierre Bergounioux, « dimanche 3 mai 1981 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 45.

David Farreny, 11 mars 2006
immensément

Le temps coulait fondu par le feu des fatigues.

Je paressais immensément,

épelant d’A à Z le Larousse prodigue

en faciles enchantements.

Raymond Queneau, Chêne et chien, p. 42.

David Farreny, 4 mars 2008
mendiant

Le vrai mendiant d’amour (c’est-à-dire le véritable angoissé) ne veut pas être aimé à cause, mais malgré.

Renaud Camus, « lundi 30 novembre 1998 », Hommage au carré. Journal 1998, Fayard, p. 512.

Élisabeth Mazeron, 29 avr. 2010
sauvé

Il n’en est pas de même pour mon compagnon de cellule, c’est un homme inflexible, un ancien capitaine. Je peux parfaitement me représenter sa disposition d’esprit. Il pense que sa situation ressemble à peu près à celle d’un explorateur polaire qui est pris sans espoir quelque part dans les glaces, mais qui sera certainement sauvé, ou plus exactement, qui est déjà sauvé, comme on l’apprend en relisant l’histoire des expéditions polaires. Et il s’ensuit le dilemme suivant : le fait qu’il sera sauvé est pour lui indubitablement indépendant de sa volonté, il sera sauvé tout simplement par le poids de sa personnalité triomphante, mais doit-il le désirer ? Qu’il souhaite ou non quelque chose, cela ne changera rien, il sera sauvé, mais reste à savoir s’il doit encore le souhaiter. C’est de cette question en apparence tellement étrangère au fond qu’il s’occupe, il la médite, il me l’expose, nous en discutons. Il ne comprend pas que cette manière de poser le problème scelle définitivement son destin.

Franz Kafka, « Pour dire la vérité… », Œuvres complètes (2), Gallimard, pp. 608-609.

David Farreny, 21 déc. 2011
imperméables

Ils étaient liés par cette morne parenté des pauvres, pour qui les liens de sang ne signifient que fort peu : n’ayant pas de souvenirs agréables en commun, ils se contentent de vivre côte à côte, sans cesser de travailler, repliés sur soi, imperméables, à des années-lumière les uns des autres.

Dezsö Kosztolányi, Anna la douce, Viviane Hamy, p. 91.

Cécile Carret, 4 août 2012
daguée

9 septembre, Simiane. Elle court vers moi sur la route. Le talus du petit bois. La maison des jeunes princesses. Dans sa lettre du 10 : « Je descends à la salle à manger où nous avons fait la sieste hier, pour dire au revoir à tous les témoins. Je joins une feuille qui a vu notre amour… Je t’aime. » — Puissé-je encore aller en elle où je voudrai ; oui, habillée ou nue, la tenir à merci, tandis qu’elle criera, blanche force daguée !

Gilbert Lely, « Ma civilisation », Poésies complètes (1), Mercure de France, p. 81.

Guillaume Colnot, 7 déc. 2013
quinquagénaire

Un demi-siècle ! me félicite-t-on en assenant une claque magistrale sur mes omoplates rongées par l’ostéoporose. Un peu de respect, voulez-vous, et des prévenances, s’il vous plaît ! Un vieillard de cinquante ans, lit-on quelque part dans Balzac. Lequel Balzac mourut d’épuisement un an après avoir fêté ce sinistre anniversaire. Je me rassure : les temps ont changé. Le quinquagénaire d’aujourd’hui avait trente ans au xixe siècle. Le trentenaire de l’époque avait lui-même dix-huit ans et le garçonnet de dix ans n’était pas né encore. Bien sûr. Mais cela fait beaucoup d’années tout de même. Toutes les femmes pourraient être mes filles. Partout, on me présente des ardoises ; la plupart sont des tuiles ; sans mentir, un toit me dégringole sur la tête.

Il faut l’accepter : le premier tiers de ma vie est maintenant derrière moi.

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 79.

Cécile Carret, 9 mars 2014
foyer

Non loin, la mer. Elle est horripilante, obstinée à choquer les falaises, à jeter contre elles des galets, comme le feraient les voyous. Les lames s’engouffrent dans les fissures, les crevasses, les grottes, transforment les rochers en sable. La masse aqueuse semble s’apaiser, comme ralentie par un geste invisible. Mais le mouvement reprend, s’enfle, montant du ventre de la mer, tremblant en vue d’une naissance ajournée.

Le tapage met l’enfer dans le monde. Le bruit nous éparpille hors de notre lieu : on cesse d’être l’habitant de sa maison. Plus de foyer.

La nuit devrait ne laisser entendre que le hululement des chouettes, le glapissement des renards. Ce serait compter sans les invitations entre les villas, les éclats de rire, les adieux des grands invitants aux petits invités. Les portières claquent. Les glaces s’abaissent pour les derniers mots futiles, et beuglés. La nuit, avancée comme un fruit mûr, s’emplit alors des chants de joyeux avinés. Hymnes à la nuit, cassés.

Jean Roudaut, « Jour de souffrance », «  Théodore Balmoral  » n° 74, printemps-été 2014, pp. 30-31.

David Farreny, 7 juil. 2014

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