radieuse

Je ne trouve rien à écrire, je ne sais que flâner autour des lignes dans la lumière de vos yeux, dans l’haleine de votre bouche, comme dans une journée radieuse, une journée qui reste radieuse même si la tête est malade, même si le cerveau est fatigué, même si je dois partir lundi par Munich.

Franz Kafka, Lettres à Milena, Gallimard, p. 36.

David Farreny, 23 mars 2002
sculpture

La « sculpture de soi », c’est l’exercice permanent du jugement, et donc du choix, moral et esthétique. Si l’héritage familial c’est la méconnaissance de l’art, de la beauté, de l’interrogation ontologique ou du souci de la langue, le « sculpteur de soi » peut choisir de quitter, sans nécessairement le renier, et sans mépris, cette part-là de l’héritage. Mais le même héritage peut être en même temps un ciel, une lumière, un ensemble de mythes et de noms, et de prénoms, tout un roman familial ou collectif dont l’être peut tirer une partie de sa saveur et, pour moi, en tout cas, une grande part de sa séduction.

Renaud Camus, « entretien avec Philippe Mangeot », Corbeaux. Journal 9 avril-9 juillet 2000, Impressions Nouvelles, p. 267.

Élisabeth Mazeron, 30 mai 2002
arrondi

Présence obsédante de l’eau. On suit des fleuves, c’est relayé par des canaux. Il y a ces étangs du dimanche, creusés en arrondi au bulldozer, et tout autour des bancs sans dossier ni ombre. Arbres minces en tuteur, et une cabane en tôle. Un grillage haut avec portail fer forgé qui a dû coûter plus cher que le terrain.

François Bon, Paysage fer, Verdier, p. 9.

David Farreny, 24 janv. 2003
su

On peut ne s’être jamais su l’auteur de cette prose sourde.

Pierre Bergounioux, Univers préférables, Fata Morgana, p. 7.

David Farreny, 7 mars 2004
garde

Si l’on n’y prend garde, on n’aura pas été de son temps. On sera resté en-deçà de soi-même, étranger à sa possibilité présente. On aura vécu au passé.

Pierre Bergounioux, Le fleuve des âges, Fata Morgana, p. 9.

David Farreny, 24 nov. 2005
scories

Cycle des scories, le dernier : le nôtre, le gauchisme.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 44.

David Farreny, 1er janv. 2006
légitime

Nous avons dit qu’une raison pour vivre est d’avoir vécu, et nous l’avons démontré par l’échelle des probabilités de la durée de la vie ; cette probabilité est à la vérité d’autant plus petite que l’âge est grand, mais lorsqu’il est complet, c’est-à-dire à quatre-vingts ans, cette même probabilité qui décroît de moins en moins devient pour ainsi dire stationnaire et fixe. Si l’on peut parier un contre un qu’un homme de quatre-vingts ans vivra trois ans de plus, on peut le parier de même pour un homme de quatre-vingt-trois, de quatre-vingt-six, et peut-être encore pour un homme de quatre-vingt-dix ans. Nous avons donc toujours dans l’âge même le plus avancé l’espérance légitime de trois années de vie. Et trois années ne sont-elles pas une vie complète, ne suffisent-elles pas aux projets d’un homme sage ?

Buffon, « De l’homme », Histoire naturelle, Gallimard, p. 104.

David Farreny, 23 janv. 2006
finitude

Les plus beaux rêves, les plus nécessaires et décisifs, c’est sous bois, les yeux ouverts, et conscient, au plus haut point, de rêver, que je les ai faits. Bien sûr, dira-t-on, quelle image n’est merveilleuse lorsque tout est oblique, mouillé, décevant ? À cela, je répondrai qu’on n’est peut-être pas aussi regardant qu’on pourrait l’être quand les choses sont bonnes ou simplement passables. On n’y voit pas malice. On prend ce qui se présente sans chercher au-delà et l’on s’expose ainsi à méconnaître ce qui était meilleur et qu’on aurait trouvé un petit peu plus loin. On n’est peut-être qu’à moitié fortuné lorsqu’on a la faveur de la fortune. Parce que notre lot, c’est la finitude, que le bon qu’on a touché n’est certainement pas le parfait, dont c’est notre droit de supposer qu’il fleurit quelque part, qu’il règne, à charge, pour nous, de marcher vers lui à travers les taillis de la réalité. De sorte que la plus haute faveur résiderait, presque, dans la pire disgrâce. On va la repousser, ou elle nous, avec une telle vigueur qu’à l’opposé surgira son contraire, son image immatérielle, incertaine, son idée, d’abord, dans la bigarrure du sous-bois, puis, si l’on a fait ce qu’il faut, son corps hésitant, son visage de chair, sa présence même.

Pierre Bergounioux, Le chevron, Verdier, p. 36.

Élisabeth Mazeron, 3 mars 2008
dilate

Un dilemme dilate le temps. C’est une torture qui prend le temps de désenfouir de la conscience et d’examiner des arguments contradictoires, et de revenir sur les uns et les autres pour les renforcer.

Catherine Millet, Jour de souffrance, Flammarion, p. 16.

Élisabeth Mazeron, 18 mars 2009
accès

Une fois de retour dans celui-ci, ce mardi après-midi, Gregor s’assied sur une chaise au lieu de se mettre aussitôt à l’ouvrage, saisi par une légère mélancolie. Toutes ces mondanités. Qu’il est donc fatigant d’être à l’intérieur de soi, toujours, sans moyen d’en sortir, considérer toujours le monde depuis cette enveloppe où on est enfermé. Et ne pouvoir, à ce monde, montrer de soi qu’un extérieur maquillé tant bien que mal en s’aidant de miroirs. Plus très envie de rien, d’un coup. Petit accès de tristesse.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 92.

Cécile Carret, 11 oct. 2010
phrase

Aimer la littérature, c’est être persuadé qu’il y a toujours une phrase écrite qui nous re-donnera le goût de vivre, si souvent en défaut à écouter les hommes. Soi-même, entre autres.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 50.

David Farreny, 24 mars 2012

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