toujours

Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu’ils nous disent plus vrai qu’aux autres.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 77.

David Farreny, 22 oct. 2004
valences

Des idées passent, fulgurantes, mais qu’il ne reverra plus (inutilisables). Des impressions à changer toute une vie, mais aussitôt perdues dans les coulisses du néant. Une agitation le prend, seule réponse possible aux commencements contradictoires qui se forment en lui. Une titillation d’envies, d’envies incessantes, extrêmes et puis disparues, qui reviennent ou pareilles ou autres, mais toujours tendues, éperdument désirantes. Des pulsions apparaissent dans un entrebâillement de conscience de plus en plus court, de plus en plus outrées, d’une outrance de plus en plus incompatible avec toute vie sociale, avec sa propre vie dans quelque milieu que ce soit. Débordantes envies qu’il lui faut veiller à réprimer dans l’instant.

L’intelligibilité s’accroît merveilleusement. Idées fringantes, prodigieusement interrelationnées, tenant par vingt valences, éclairées à la lumière d’un phare invisible.

Il voit. Il a compris, mais dans un tournoiement tout disparaît. Il reste un bourdonnement énigmatique.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 133-134.

David Farreny, 21 oct. 2005
règne

Voilà en quoi me semble tenir la différence entre ce siècle et les autres ; autrefois, comme de nos jours, la grandeur était fort rare ; mais alors, c’était la médiocrité qui régnait, tandis qu’aujourd’hui, c’est partout le règne de la nullité.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Tristan et d’un ami », Petites œuvres morales, Allia, p. 239.

David Farreny, 9 nov. 2005
reflètent

Mardi – Les vitres teintées de l’immeuble de bureaux A reflètent les vitres teintées de l’immeuble de bureaux B. Les employés de l’immeuble A se regardent-ils travailler dans le reflet tendu ? Le métro aérien trouble-t-il les sosies qu’il sépare ? Subtil décalage des passagers inattentifs, bientôt assis et attablés de même.

Anne Savelli, Fenêtres. Open space, Le mot et le reste, p. 13.

Cécile Carret, 21 juil. 2008
surprise

Ainsi, le projet même d’une liberté en général est un choix qui implique la prévision et l’acceptation de résistances par ailleurs quelconques. […] Tout projet libre prévoit, en se pro-jetant, la marge d’imprévisibilité due à l’indépendance des choses, précisément parce que cette indépendance est ce à partir de quoi une liberté se constitue. Dès que je pro-jette d’aller au village voisin pour retrouver Pierre, les crevaisons, le « vent debout », mille accidents prévisibles et imprévisibles sont donnés dans mon projet même et en constituent le sens. Aussi la crevaison inopinée qui dérange mes projets vient prendre sa place dans un monde préesquissé par mon choix, car je n’ai jamais cessé, si je puis dire, de l’attendre comme inopinée. Et même si ma route a été interrompue par quelque chose à quoi j’étais à cent lieues de penser, comme une inondation ou un éboulis, en un certain sens, cet imprévisible était prévu : dans mon pro-jet une certaine marge d’indétermination était faite « pour l’imprévisible » comme les Romains réservaient, dans leur temple, une place aux dieux inconnus, et cela, non par expérience des « coups durs » ou prudence empirique, mais par la nature même de mon projet. Ainsi, d’une certaine manière, peut-on dire que la réalité humaine n’est surprise par rien. […] Il n’est jamais rien qui étonne, dans le monde, rien qui surprenne, à moins que nous ne nous déterminions nous-mêmes à l’étonnement.

Jean-Paul Sartre, « Liberté et facticité : la situation », L’être et le néant, Gallimard, pp. 564-565.

David Farreny, 11 nov. 2008
alone

Peut-on contredire une relation si fraîche ? “Non” décidai-je et fus par chance dispensé de répondre par le sifflet du chemin de fer de l’Ostbahnhof : ainsi hurle l’esprit animal quand il migre de l’alone to l’alone ! Il gémit avec froideur et zèle, comme ces voix étrangères dans le conduit de la cheminée (qu’on entend parfois dans notre maison : choses calculées par l’architecte ou pur produit du hasard ? Un propriétaire futé pourrait mettre dans l’annonce : “Mugissements particulièrement romantiques dans le poêle : loyer augmenté de 5 marks !” – dieusoiloué ils ne sont pas futés à ce point !). Une nouvelle fois le disque d’ébène du sifflet vint planer par ici, tantôt arête, tantôt face (tandis que sous lui le front noir baissé devait foncer à travers les forêts en direction d’Aschaffenburg. Aveugle.).

Arno Schmidt, « Voisine, mort et solidus », Histoires, Tristram, p. 50.

Cécile Carret, 17 nov. 2009
impossible

— Mon gentil, m’a-t-il dit un jour, pas à la maison, mais, comme ça, dans la rue, après une longue conversation ; j’étais en train de le raccompagner. Mon ami, aimer les gens comme ils sont, c’est impossible. Et pourtant, c’est ce qu’il faut. Et donc, fais-leur du bien, à contrecœur, en te bouchant le nez et en fermant les yeux (surtout ça qui est indispensable). Supporte le mal qu’ils te feront, sans te fâcher dans la mesure du possible, “en te souvenant que, toi aussi, tu es un être humain”. Bien sûr, tu es appelé à être sévère avec eux, s’il t’est donné d’être ne serait-ce qu’un tout petit peu plus doué que la moyenne. Les gens, ils sont vils par nature et ils aiment aimer par peur ; ne cède pas à cet amour-là et n’arrête pas de mépriser. Je ne sais plus où, dans le Coran, Allah prescrit au prophète de regarder les “mutins” comme des souris, de leur faire du bien et de passer devant eux — c’est un peu fier, mais c’est juste. Sache mépriser même quand ils sont bons, parce que, le plus souvent, c’est bien là qu’ils sont moches. Oh mon gentil, c’est en jugeant d’après moi-même que je dis ça ! Il suffit juste d’avoir un peu de cervelle pour ne pas pouvoir vivre sans se mépriser, qu’on soit honnête ou malhonnête, c’est pareil. Aimer son prochain et ne pas le mépriser, c’est impossible. À mon avis, l’homme a été créé avec une impossibilité physique d’aimer son prochain. Il y a là une espèce d’erreur dans les mots depuis le début, et “l’amour de l’humanité” ne doit être compris que comme l’amour pour cette humanité que, toi-même, tu t’es créée au fond de ton cœur (en d’autres termes, tu t’es créé toi-même, et, l’amour que tu ressens, c’est ton amour pour toi), et qui, donc, n’existera jamais en vrai.

— Jamais ?

— Mon ami, je veux bien, ce serait un peu stupide, mais ce n’est pas ma faute ; et, comme en créant le monde, on ne m’a pas demandé mon avis, je me réserve le droit d’avoir une opinion sur ce sujet.

Fédor Dostoïevski, L’adolescent (1), Actes Sud, pp. 402-403.

Bilitis Farreny, 16 août 2010
inadéquation

L’universalité suivant laquelle l’animal, en tant que singulier, est une existence finie se montre, en lui, comme la puissance abstraite à l’issue du processus lui-même abstrait qui se déroule à l’intérieur de lui. L’inadéquation de l’animal à l’universalité est sa maladie originelle et le germe inné de la mort. La suppression de cette inadéquation est elle-même l’exécution de ce destin. L’individu supprime une telle inadéquation en tant qu’il insère dans l’universalité, pour l’y former, sa singularité, mais en même temps, dans la mesure où elle est abstraite et immédiate, il n’atteint qu’une objectivité abstraite dans laquelle son activité s’est émoussée, ossifiée, et où la vie est devenue une habitude sans processus, en sorte qu’il se met à mort ainsi de lui-même.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « La mort de l’individu, qui meurt de lui-même », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, pp. 329-330.

David Farreny, 7 fév. 2011

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