rassurant

Le réveil qui sonne le matin renvoie à la possibilité d’aller à mon travail qui est ma possibilité. Mais saisir l’appel du réveil comme appel, c’est se lever. L’acte même de se lever est donc rassurant, car il élude la question : « Est-ce que le travail est ma possibilité ? » et par conséquent il ne me met pas en mesure de saisir la possibilité du quiétisme, du refus de travail et finalement du refus du monde et de la mort.

Jean-Paul Sartre, « L’origine du néant », L’être et le néant, Gallimard, p. 73.

David Farreny, 11 oct. 2008
blatéra

Un cyclone atypique.

C’était difficile à expliquer sans utiliser de termes.

Un cyclone, disons.

Ce qu’on avait pu observer, c’était des sortes de prémices.

À côté, le cyclone aurait une puissance, comment donner un ordre d’idée ?

Olaf le savait, on n’était pas dans une zone à cyclone. Bien. Mais là.

Bref, un cyclone.

Maintenant, dans combien de jours ? Combien de semaines ?

Un cyclone se déplace à la vitesse de.

Le plus souvent, du moins, parce que celui-ci.

La météo sur les dents, suivre ça sur les écrans, calculer la trajectoire.

Ne rien dire tant qu’on n’est pas sûr. Rien n’est prévu pour les cyclones sous nos latitudes.

Il se leva, tourna dans le peu d’espace libre, mains dans les poches, sourire. Il va falloir arrimer, prévint-il. Tout arrimer, nous avons vécu trop longtemps dans l’idée que l’air était calme. L’air n’est pas calme. Nous autres, météorologues, nous avons cette connaissance du désordre de l’air. Les nuages sont loin, n’est-ce pas, les nuages ne sont pas là, le soleil non plus, la lune non plus. Et pourtant, quelquefois.

Il sourit avec admiration.

Quelquefois, cyclone.

Il attrapa un éléphanteau luisant. J’ai déjà vu un ou deux cyclones, dans ma vie, à l’époque où je voyageais. Mon père aussi voyageait beaucoup. Ce petit objet vient de là-bas, et cet autre, et toute cette collection sur l’étagère. Mes parents nous ont fait beaucoup de cadeaux. Ils rentraient de voyage, ils ouvraient le coffre, ils disaient devinez ce qu’on rapporte. Et hop, hop, les cadeaux. Ça finit par s’entasser.

Il blatéra de rire.

La gueule, hoqueta-t-il, la gueule de mon chef quand je suis entré dans son bureau en disant cyclone. Mon chef est à trois mois de la retraite. J’entre dans le bureau, je sors le schéma, je lui mets ça sous le nez, je dis cyclone. La gueule ! La gueule !

Luc Blanvillain, Olaf chez les Langre, Quespire, p. 96.

Cécile Carret, 27 août 2009
croûte

Et, le matin comme le soir, et dans les rêves de la nuit, cette rue était le théâtre d’une circulation fiévreuse qui, vue d’en haut, se présentait comme un mélange inextricable de silhouettes déformées et de toits de voitures de toutes sortes, mélange compliqué sans cesse d’une infinité de nouveaux afflux, et d’où s’élevait un autre amalgame, encore plus forcené que lui, de vacarme, de poussière et de bruits répercutés, le tout happé, saisi, violé, par une lumière puissante qui, dispersée, emportée, ramenée à une vitesse vertigineuse par le tourbillon des objets, formait au-dessus de la rue, pour le spectateur ébloui, comme une épaisse croûte de verre qu’un poing brutal eût fracassée à chaque instant.

Franz Kafka, « L’oublié », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 33.

David Farreny, 17 mars 2011
divin

Le divin, son importance dans ma vie. Pourtant quelque chose constate ironiquement en moi, pendant que je fais le récit d’un rêve, que le divin est bien plus présent dans ma pensée, en été, à la campagne et par beau temps.

Henry Bauchau, Jour après jour. Journal d’« Œdipe sur la route » (1983-1989), Actes Sud, p. 218.

Bilitis Farreny, 26 août 2011
il

Aujourd’hui, il sort de la forêt de bon matin, un blaireau sur l’épaule. Il descend vers Rouen. Dans la rue, les gens se retournent sur lui : c’est un colosse, un géant. Sous sa tignasse gris-jaune, sourit une tête d’enfant à la peau bien lisse. Ses jambes sont longues et minces, il a des fesses de danseuse et le torse court, étroit et incroyablement épais. Le plus étrange chez lui, ce sont ses mains, qui au bout de jambons démesurés sont d’une telle finesse qu’elles semblent conçues pour de la dentelle. Il avance en chaloupant, et il pue.

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 25.

Cécile Carret, 9 mars 2012
rêvaient

Un moment, ils restèrent ainsi, en position horizontale, dévêtus, couchés côte à côte sous leurs légères couettes d’été.

Puis une étrange lueur brilla derrière leurs paupières closes, et ils se levèrent, se quittèrent, traversèrent les murs, les années, s’en allèrent dans différentes directions, par des sentiers inconnus d’eux-mêmes, revêtus désormais de toutes sortes de costumes imaginaires.

Le miracle quotidien s’était accompli ; ils rêvaient.

Dezsö Kosztolányi, Anna la douce, Viviane Hamy, p. 48.

Cécile Carret, 4 août 2012
sombre

La vieille incapacité. J’ai cessé d’écrire depuis dix jours à peine et déjà, je suis mis au rebut. Je me trouve une fois de plus à la veille de terribles efforts. Il va falloir que je plonge, littéralement, et que je sombre plus vite que ce qui sombrera devant moi.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 381.

David Farreny, 8 nov. 2012
optimates

À vrai dire, pour créer un tel équilibre, il fallait un esprit aussi libre que l’était frère Othon. Il avait pour principe de traiter les hommes qui nous approchaient comme autant de rares trouvailles découvertes au fil d’un long voyage. Il aimait aussi nommer les hommes les optimates, signifiant par là que tous autant qu’ils sont, ils forment l’aristocratie naturelle de ce monde et que chacun d’eux peut nous apporter l’excellent. Il les concevait comme des réceptacles du merveilleux, et, créatures suprêmes, il leur accordait des droits princiers. Et réellement, je voyais tous ceux qui l’approchaient s’épanouir comme des plantes qui s’éveillent du sommeil hivernal, non point qu’ils devinssent meilleurs, mais parce qu’ils devenaient davantage eux-mêmes.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 28.

Cécile Carret, 27 août 2013

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