bistrot

L’homme qui se respecte quitte la vie quand il veut ; les braves gens attendent tous, comme au bistrot, qu’on les mette à la porte.

Ladislav Klima.

David Farreny, 28 mars 2002
imposé

Marbœuf n’a pas encore quarante ans. Il est à la moitié de sa vie et a déjà imposé l’idée qu’il ne faudrait attendre aucun livre de lui.

Jean-Yves Jouannais, Artistes sans œuvres, Hazan, p. 65.

David Farreny, 14 avr. 2002
visages

Tant de visages ressemblent à tant d’autres visages. Visages de régiment, de foule, visages pour l’énumération et l’hécatombe. Visages qui n’ont pas rencontré le poing. Visages qui ne savent exprimer que des sentiments communs. Visages qui ne connaissent que la moue et l’écarquillement. Visages qui diront ho ! puis qui diront ah ! et jamais autre chose. Visages sans vestiges. Visages qui n’ont jamais rencontré le poing.

Éric Chevillard, « Une rencontre », Scalps, Fata Morgana, p. 72.

David Farreny, 14 déc. 2004
défasse

Il y a d’autres choses auxquelles il faut prendre garde : les fruits meurtris visités par les mouches, certains morceaux de gras que, d’instinct – quitte à vexer – on laisse dans son assiette, des poignées de main après lesquelles – à cause du trachome – on évite de se frotter les yeux. Des avertissements, mais pas de lois : rien qu’une musique du corps, perdue depuis longtemps, qu’on retrouve petit à petit et à laquelle il faut s’accorder. Se rappeler aussi que la nourriture locale contient ses propres antidotes – thé, ail, yaourt, oignons – et que la santé est un équilibre dynamique fait d’une suite d’infections plus ou moins tolérées. Quand elles ne le sont pas, on paie un radis douteux ou une gorgée d’eau polluée par des journées de coliques-cyclone qui nous précipitent, sueur au front, vers les cabinets à la turque où bientôt on se résigne à s’installer tout à fait, malgré les poings qui martèlent la porte, si brefs sont les répits que la dysenterie vous accorde.

Lorsque je me retrouve ainsi diminué, alors la ville m’attaque. C’est très soudain ; il suffit d’un ciel bas et d’un peu de pluie pour que les rues se transforment en bourbiers, le crépuscule en suie et que Prilep, tout à l’heure si belle, se défasse comme du mauvais papier. Tout ce qu’elle peut avoir d’informe, de nauséabond, de perfide apparaît avec une acuité de cauchemar : le flanc blessé des ânes, les yeux fiévreux et les vestons rapiécés, les mâchoires cariées et ces voix aigres et prudentes modelées par cinq siècles d’occupation et de complots. Jusqu’aux tripes mauves de la boucherie qui ont l’air d’appeler au secours comme si la viande pouvait mourir deux fois.

Tout d’abord, c’est logique, je me défends par la haine. En esprit je passe la rue à l’acide, au cautère. Puis j’essaie d’opposer l’ordre au désordre. Retranché dans ma chambre, je balaie le plancher, me lave à m’écorcher, expédie laconiquement le courrier en souffrance et reprends mon travail en m’efforçant d’en expulser la rhétorique, les replâtrages, les trucs : tout un modeste rituel dont on ne mesure probablement pas l’ancienneté, mais on fait avec ce qu’on a.

Lorsqu’on reprend le dessus c’est pour voir par la fenêtre, dans le soleil du soir, les maisons blanches qui fument encore de l’averse, l’échine des montagnes étendue dans un ciel lavé et l’armée des plants de tabac qui entoure la ville de fortes feuilles rassurantes. On se retrouve dans un monde solide, au cœur d’une grande icône argentée. La ville s’est reprise. On a dû rêver. Pendant dix jours on va l’aimer ; jusqu’au prochain accès. C’est ainsi qu’elle vous vaccine.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 78.

Cécile Carret, 8 sept. 2007
peu

La religion des Mazanites déplaît aux Hulabures et les révolte. Ils se sentent couler dans une vaste infection, quand ils y songent.

Pourtant les Mazanites trouvent leur religion, le chemin évident vers la sainteté et le déploiement naturel de ce qui élève l’homme et compte véritablement en lui. Ils ont d’ailleurs trois cultes. Mais les Hulabures n’en voient qu’un. Un qu’ils détestent.

Les Hulabures font donc la guerre aux Mazanites et souvent avec succès.

Les Hulabures attachent leurs prisonniers de guerre avec un crochet à la langue, un crochet au nez, un crochet à la lèvre supérieure et deux autres petits crochets aux oreilles.

Quand ils ont pu employer de la sorte une trentaine d’hameçons, ils sont fiers et en paix avec eux-mêmes ; la noblesse éclate sur leurs visages. Ils font ça pour Dieu… je veux dire pour Celui de leur nation, pour l’honneur du pays, enfin, peu importe, entraînés par un sentiment élevé, austère et de sacrifice de soi.

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 41.

David Farreny, 4 mars 2008
coûteux

Retour dans l’obscurité brumeuse. Nous parlons de la rupture opérée par l’exil, les études, entre nos vies antérieures et celle, tendue, toute pensive, que nous tentons d’inventer, au loin. Derrière nous, une sorte d’éternité, l’obscur repos en soi-même dans le cercle étroit des collines, devant, l’espoir coûteux d’y voir plus clair, le soin épuisant de vivre à la hauteur d’un présent que notre petite patrie, fermée, retardataire, n’a jamais soupçonné.

Pierre Bergounioux, « vendredi 30 décembre 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 271-272.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
bordel

Ah, c’est que l’ennui guette vite, dans les descriptions, on ne va pas trop traîner là-dessus. Finalement, le roman, quand on y pense, aura été un formidable réservoir à phénomènes, avant de les voir foutre le camp l’un après l’autre. Les choses, les objets, les détails. Les couleurs à la surface. Rien qu’à regarder une liste d’autrefois, c’est tout un bazar fantastique qui vous remonte à la mémoire, une vraie quincaillerie oubliée. Tout un magasin d’accessoires, mannequin d’osier, peau de chagrin, étui de nacre, chartreuse d’ici ou de là, contrat de mariage, chat-qui-pelote, sept pignons, mousses du vieux presbytère et ainsi de suite. Mais où sont tombés ces rossignols ? Toutes ces choses inanimées qui avaient pourtant une âme, et encore plus forte que celle des acteurs de l’histoire. Mais où est-ce que ce bordel est passé ?

Philippe Muray, Postérité, Grasset, p. 95.

David Farreny, 5 déc. 2012
la

L’immense lenteur du monde. La rapidité de la mort.

Emmanuelle Guattari, Ciels de Loire, Mercure de France, p. 17.

Cécile Carret, 22 sept. 2013
débâcle

Qui vit de nombreuses années assiste à la débâcle de sa cause.

Nicolás Gómez Dávila, Carnets d'un vaincu. Scolies pour un texte implicite, L'Arche, p. 14.

David Farreny, 1er mars 2024

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