slow

Le slow qui tue est une machine logique à décollage vertical.

Pascal Comelade, Écrits monophoniques submergés.

David Farreny, 24 mars 2002
déréliction

À la fin, tu m’en auras servi bien assez de cette boisson douce-amère, de cette liqueur noir de jais, de ce poison très lent qu’on accumule comme un venin d’abeille. Tu m’auras abreuvé jusqu’à plus soif avec ce lait ténébreux, ce mauvais sang, cette mélancolie dont je tire mon miel, qui avive la douleur et la volupté, qui fait si mal et qui fait du bien obscurément. J’aurai eu ma dose, j’en serai sevré, j’espère, de cette eau-de-vie fatale, de ce mauvais alcool qui cogne fort, rejette toujours un peu plus dans la déréliction et entérine le fait, s’il en était besoin, que l’on a perdu d’avance, que tout est joué depuis le commencement.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 63.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
immobile

On dirait bien là des occupations de vieux, de retraité. Or, jamais je n’ai eu conscience comme maintenant de ma jeunesse ; je suis intact. Plus je reste immobile, plus je retranche d’actions dans mes journées, mieux je sens ma force et ma liberté. Je dois vraiment être un employé modèle, car le strict accomplissement de la tâche fait partie des moyens par lesquels je m’assure la sérénité.

Henri Thomas, Le précepteur, Gallimard, p. 127.

David Farreny, 4 mars 2008
éloignement

Tel livre lu voilà vingt ans et bientôt oublié, telle couverture, tel imperceptible souvenir, lorsque je les retrouve à leur emplacement originel, à quinze ou vingt ans d’ici, m’indiquent à quelle distance je me trouve, maintenant, du commencement. Le long du chemin rendu un court instant visible, dans l’ombre et la brume du passé, je découvre la théorie des bagages abandonnés, l’éloignement.

Pierre Bergounioux, « jeudi 8 juin 1989 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, pp. 796-797.

Élisabeth Mazeron, 1er janv. 2009
proliférer

On aurait dit que sa féminité se passait aisément de fécondation et qu’il eût suffi d’un arôme un peu masculin, d’une vague odeur de tabac, d’une blague un peu grivoise pour qu’elle se mît aussitôt à proliférer luxurieusement.

Bruno Schulz, « Août », Les boutiques de canelle, Denoël, p. 45.

Cécile Carret, 5 déc. 2009
effarvatte

5 heures de l’après-midi, la digitale pourprée : crescendo trillé du phragmite des joncs, rythmes puissants, acidulés et grincés, de la rousserolle turdoïde. Coassement sec et flasque d’une grenouille. La mouette rieuse part en chasse. Les nénuphars. Concert en duo de deux rousserolles effarvattes.

6 heures du soir, les iris jaunes et la locustelle tachetée. Une foulque (noire, plaque frontale blanche) semble choquer des pierres et souffler dans une petite trompette pointue. L’alouette des champs s’élève et jubile en plein ciel, les grenouilles lui répondent dans l’étang. Un râle d’eau, invisible, pousse une série de cris effroyables — cris de pourceau qu’on égorge — en hurlement décroissant, diminuendo.

9 heures du soir : coucher de soleil, rouge, orangé, violet, sur l’étang des iris. Le héron butor mugit — son de trompe grave, un peu terrifiant. Le soleil est un disque de sang : l’étang le répète — le soleil rejoint son reflet et s’enfonce dans l’eau. Le ciel est violet sombre.

Minuit : la nuit est installée, toujours solennelle comme une résonance de tam-tam. Le rossignol commence ses strophes mystérieuses ou mordantes. Une grenouille agite des ossements.

3 heures du matin : de nouveau, un grand solo de rousserolle effarvatte. Et nous terminons sur un rappel de la musique des étangs, avec le dernier mugissement du héron butor…

Olivier Messiaen, « Livre IV, VII. La rousserolle effarvatte », Catalogue d’oiseaux.

David Farreny, 12 oct. 2011
phrase

Aimer la littérature, c’est être persuadé qu’il y a toujours une phrase écrite qui nous re-donnera le goût de vivre, si souvent en défaut à écouter les hommes. Soi-même, entre autres.

Georges Perros, Papiers collés (3), Gallimard, p. 50.

David Farreny, 24 mars 2012
prise

Prise : chêne de 4 000 à 8 000 francs le stère. Le plus coûteux, celui qui se prête au déroulage (une bille sans nœuds qu’on fait tourner et qu’on pèle comme une patate, contenant des mètres et des mètres de placage).

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 61.

Cécile Carret, 18 juin 2012
chœur

Les heures ne cardaient leur laine et la rivière

                            ne coulait sous les ponts

que pour sonner en moi, au chœur de l’éphémère,

                            les voix et les répons.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 212.

David Farreny, 2 juil. 2013
forme

L’enfer moderne, c’est une femme qui vit seule et qui, le soir, se regarde nue devant la glace. Déprimée comme d’habitude, terriblement stressée, épuisée, elle n’arrête pas de se répéter qu’elle ne doit pas penser comme ça et qu’elle est super

Autre scène d’autosatisfaction contemporaine. Les gens innombrables maintenant qui se disent en pleine forme, en super-forme. Sans aucune raison objective. Disserter sur l’espèce majoritaire de ceux qui n’ont aucun motif de se sentir en forme ou pas en forme, plus en forme ou moins en forme que la semaine dernière. Avec leur vie, devant et derrière eux, totalement nulle. Pas obligatoirement pathétique. Sans nécessité.

Philippe Muray, « 5 décembre 1984 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 523.

David Farreny, 23 août 2015
servir

Flamant rose, héron cendré, serait-il donc impossible de se faire servir un échassier à point ?

Éric Chevillard, « vendredi 20 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016
sage

Ne serait-il pas plus sage d’emprisonner plutôt tous ceux qui n’ont encore tué personne ?

Éric Chevillard, « jeudi 11 avril 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024
compagnie

Jour après jour, week-end après week-end, j’enviais secrètement l’aptitude de mes amis à s’amuser ensemble et les méprisais pour ne pas envier mon inaptitude à m’amuser avec eux. Je m’en voulais surtout de mon impuissance à planter là leur ennuyeuse compagnie, effrayé encore et toujours de penser qu’ayant été de trop, je ne manquerais à personne. Mais je sentais venir la rupture.

Frédéric Schiffter, « Je chute, donc je pense », Pensées d'un philosophe sous Prozac, Milan.

David Farreny, 12 mai 2024

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