Norvégiens

Les Norvégiens sont translucides ; exposés au soleil, ils meurent presque aussitôt.

Michel Houellebecq, Lanzarote, Flammarion, p. 18.

David Farreny, 22 mars 2002
toujours

Quelque défiance que nous ayons de la sincérité de ceux qui nous parlent, nous croyons toujours qu’ils nous disent plus vrai qu’aux autres.

François de la Rochefoucauld, Maximes, Flammarion, p. 77.

David Farreny, 22 oct. 2004
Elseneur

Cueille ce triste jour d’hiver sur la mer grise…

Te souviens-tu de Marienlyst ? (Oh, sur quel rivage,

Et en quelle saison sommes-nous ? je ne sais.)

On y va d’Elseneur, en été, sur des pelouses

Pâles ; il y a le tombeau d’Hamlet et un hôtel

Éclairé à l’électricité, avec tout le confort moderne.

C’était l’été du Nord, lumineux, doux voilé.

Souviens-toi : on voyait la côte suédoise, en face,

Bleue, comme ce profil lointain de l’Italie.

Oh ! aimes-tu ce jour autant que moi je l’aime ?

Cueille ce triste jour d’hiver sur la mer grise…

Oh ! que n’ai-je passé ma vie à Elseneur !

Le petit port danois est tranquille, près de la gare,

Comme le port définitif des existences.

Vivre danoisement dans la douceur danoise

De cette ville où est un château avec des dômes en bronze

Vert-de-grisés ; vivre dans l’innocence, oui,

De n’importe quelle petite ville, quelque part,

Où tout le monde serait pensif et silencieux,

Et où l’on attendrait paisiblement la mort.

Valery Larbaud, « Poésies de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 62.

David Farreny, 1er avr. 2007
instituteur

L’histoire de la tragédie de la demi-instruction n’est pas encore écrite. Il me semble que la biographie d’un instituteur de village peut de nos jours devenir un livre de chevet, comme autrefois Werther.

Ossip Mandelstam, « Achtarak », Voyage en Arménie, L’Âge d’Homme, p. 77.

Guillaume Colnot, 2 juin 2009
amicale

La mer était jaunâtre, surtout près de la côte ; à l’horizon, un rai de lumière, et au-dessus, d’énormes nuages gris dont on pouvait voir la pluie s’abattre en lignes obliques. Le vent chassait la poussière du chemin sur les roches au bord de la mer, et il agitait les aubépiniers en fleurs et les giroflées qui poussent sur les rochers.

À droite, des champs de jeune blé ; dans le lointain, la ville avec ses clochers, ses moulins, ses toits d’ardoises, ses maisons en style gothique, puis plus bas, son port emprisonné entre deux digues qui avancent dans la mer. Elle ressemblait aux villes qu’Albert Dürer a gravées à l’eau-forte. J’ai vu la mer dans la nuit du dimanche ; tout était sombre et gris, mais le jour commençait à poindre à l’horizon.

Il était très tôt mais les alouettes chantaient déjà, ainsi que les rossignols dans les jardins en bordure de la côte. Dans le lointain, les feux d’un phare, le garde-côte, etc.

La même nuit, j’ai contemplé par la fenêtre de ma chambre les toits des maisons et les cimes des ormes qui se détachaient, taches sombres, sur le ciel nocturne, où vibrait une seule étoile, qui m’a paru grande, belle et amicale.

Vincent van Gogh, « Ramsgate, 31 mai 1876 », Lettres à son frère Théo, Gallimard, pp. 45-46.

David Farreny, 15 juin 2009
rétifs

Alors que les pigeons, parfois, se montrent absurdement rétifs quand Gregor les recueille de tout son cœur, se rebiffant bec et ongles au point de le blesser, alors qu’ils se débattent comme une vieille dame qu’on veut aider à traverser la rue quand elle ne vous a rien demandé, il n’a aucune peine à s’emparer de celui-ci.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 153.

Cécile Carret, 17 oct. 2010
engendrement

À la lumière, par conséquent, fait défaut l’unité concrète avec soi que la conscience de soi possède en tant que point infini de l’être-pour-soi ; et c’est pourquoi la lumière est seulement une manifestation de la nature, non pas de l’esprit. C’est pourquoi, deuxièmement, cette manifestation abstraite est en même temps spatiale, absolue expansion de l’espace, et non pas la reprise de cette expansion dans le point d’unité de la subjectivité infinie. La lumière est dispersion spatiale infinie, ou, bien plutôt, infini engendrement de l’espace.

Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 394.

David Farreny, 28 fév. 2011
orage

Le peu de gens qui passaient ont pressé l’allure. Ils ont disparu. Personne ne les a remplacés. J’ai regardé la pluie exploser sur le trottoir. La température avait changé, je n’y avais pas prêté attention. C’était une pluie d’orage, il faisait anormalement chaud, et tout de suite après il y a eu les éclairs. D’abord quelques uns, isolés, suivis de roulements encore lointains, puis le ciel s’est illuminé, parcouru d’arcs électriques. On avait le temps de les voir, comme imprimés, leurs lignes brisées se détachant sur le fond noir, puis plus tellement noir, plus tellement le temps de virer au noir, les zébrures se succédant bientôt au point de se superposer et se figeant dans ce qui était devenu une blancheur. La pluie a grossi, elle tombait en gouttes laiteuses, qui s’écrasaient en laissant de l’écume. Je l’entendais, aussi, frapper la banne à l’abri de laquelle je me tenais encore, son crépitement gras dominait les roulements, et je me suis dit que la vie devenait violente, j’ai rentré légèrement la tête dans les épaules.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 9.

Cécile Carret, 25 sept. 2011
fond

Voilà. Des années ont passé. Nous vivons ensemble dans une maison en dur, j’ai réussi, j’ai une vraie maison toute dure. Francis est parti, et nous sommes tous les deux. Et alors, quoi ? Je m’ennuie. Le mot est faible. C’est évident que je m’ennuie. L’amour pour moi s’est toujours déroulé en trois phases fatales : découverte, habitude, lassitude. Et c’est fini. Chaque fois que je me suis mis à vivre avec une femme, je me suis retrouvé un jour à me dire sur ma natte : « Pop, ce que tu t’emmerdes, au fond. Demain tu la quittes. »

Julien Péluchon, Pop et Kok, Seuil, p. 81.

Cécile Carret, 9 mars 2012
expient

Nous voulons croire que leur miroir est recouvert d’un crêpe noir. Dans de profonds et lugubres monastères, ils expient leur vilenie : la matinée vouée aux tourments de la culpabilité, l’après-midi aux supplices de la repentance et la nuit à la hantise, à la fièvre, aux sanglots, aux cauchemars, aux punaises. Le froid féroce les enrhume. Ils cousent avec un fil de morve des pelures de pommes de terre pour se faire un vêtement. Leur vin est fade et leur eau ne l’est pas. Toutes les nourritures solides tournent en pourriture dans leur bouche.

Il y aurait une justice !

Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 33.

Cécile Carret, 4 fév. 2014

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