rivière

96. On pourrait se représenter certaines propositions, empiriques de formes, comme solidifiées et fonctionnant comme des conduits pour les propositions empiriques fluides, non solidifiées ; et que cette relation se modifierait avec le temps, des propositions fluides se solidifiant et des propositions durcies se liquéfiant.

97. La mythologie peut se trouver à nouveau prise dans le courant, le lit où coulent les pensées peut se déplacer. Mais je distingue entre le flux de l’eau dans le lit de la rivière et le déplacement de ce dernier ; bien qu’il n’y ait pas entre les deux une division tranchée.

98. Mais si on venait nous dire : « La logique est donc elle aussi une science empirique », on aurait tort. Ce qui est juste, c’est ceci : la même proposition peut être traitée à un moment comme ce qui est à vérifier par l’expérience, à un autre moment comme une règle de la vérification.

99. Et même le bord de cette rivière est fait en partie d’un roc solide qui n’est sujet à aucune modification ou sinon à une modification imperceptible, et il est fait en partie d’un sable que le flot entraîne puis dépose ici et là.

Ludwig Wittgenstein, De la certitude, Gallimard, p. 49.

Guillaume Colnot, 20 mai 2003
flasque

J’aime ces doublets qui reparaissent éternellement aux points les plus divers de l’érudition flasque, pur discours que ne touche pas l’instance de la valeur : Silvestre de Sacy, Scipion du Roure, Langle de Cary, Paty de Clam, Benoît d’Azy, Hutin-Desgrées du Loup et jusqu’à Ribadeau-Dumas. Il y a là tout un pan effondré du discours bourgeois ; debout il m’exaspérerait, mais j’en reconnais toujours avec plaisir les fragments épars.

Renaud Camus, « vendredi 6 juin 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 427.

David Farreny, 9 août 2005
beaucoup

Moi, pas inquiet, je continuais à « être ». Sans plus. C’était beaucoup.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 21.

David Farreny, 21 oct. 2005
gît

Par

1 000 m de fond

l’émerveillement gît

Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 22.

David Farreny, 20 août 2006
morveux

La matinée est bien avancée lorsque je peux m’asseoir enfin à la table de travail, obéir à l’injonction impérieuse que m’adresse, du fond du temps, le morveux de dix-sept ans qui découvrit qu’il était permis d’être un peu fixé sur ce qui se passe alors qu’il avait abandonné toute espérance à ce sujet. Je suis un instant à surmonter l’effroi qui m’empoigne chaque fois que je me retrouve au pied de la muraille puis je trace un mot, un autre et continue petitement.

Pierre Bergounioux, « vendredi 13 avril 1984 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 299.

Élisabeth Mazeron, 11 nov. 2008
enclenchai

Et comme de coutume, j’enclenchai impitoyablement la réflexion suivante : qu’est-ce qui te serait à présent le plus désagréable ? ! Je me répondis promptement : s’habiller et sortir se promener. – C’est donc ce que je fis. ; avec la grosse écharpe autour du cou ; les mains dans les moufles : je suis prudent.

Arno Schmidt, « Les Prudents », Histoires, Tristram, p. 80.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
dialogue

Lorsque deux sujets se disputent selon un échange réglé de répliques et en vue d’avoir le «  dernier mot  », ces deux sujets sont déjà mariés : la scène est pour eux l’exercice d’un droit, la pratique d’un langage dont ils sont copropriétaires ; chacun son tour, dit la scène, ce qui veut dire : jamais toi sans moi, et réciproquement. Tel est le sens de ce qu’on appelle euphémiquement le dialogue : ne pas s’écouter l’un l’autre, mais s’asservir en commun à un principe égalitaire de répartition des biens de parole. Les partenaires savent que l’affrontement auquel ils se livrent et qui ne les séparera pas est aussi inconséquent qu’une jouissance perverse (la scène serait une manière de se donner plaisir sans le risque de faire des enfants).

Roland Barthes, « Faire une scène », Fragments d’un discours amoureux, Seuil, p. 243.

Élisabeth Mazeron, 25 janv. 2010
solde

Ce serait bien s’il y avait moyen de se tirer soi-même d’emblée de soi-même. Mais on n’accède à notre âge, à notre être de raison qu’après avoir traversé l’épaisseur, la douleur de l’antique illusion. On s’est cru d’abord différent, dénaturé, pire qu’un scorpion, qu’une raie torpille car on ne les voit pas, eux, désespérer de leurs dards, accus, se frapper à la nuque, se consumer dans l’éclair d’un arc électrique.

Nous si. Nous, on peut. Il vient un moment où on va le vouloir et peut-être que ce moment, aussi, est nécessaire. C’est la quittance à verser au vieux sang, le tribut que la veille duperie réclame pour solde de tout compte.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, pp. 50-51.

Élisabeth Mazeron, 8 juin 2010
vérité

Et ce qui s’imposa à moi dans cette matinée de janvier, et que le reste de ma visite ne vint pas contredire, ce fut la sensation, en ce lieu de convalescence, d’une sorte d’équivalent populaire de La Montagne magique, et cela non au prix d’un effort de pensée ou d’une réflexion, mais avec la spontanéité et le naturel d’une musique que j’aurais soudain entendue. Suite à ce choc devant l’évidence de ce roman virtuel, j’eus la certitude que le territoire tout entier était truffé de tels romans et qu’à ce titre il méritait d’être revisité, non par acquit de conscience mais parce qu’un puissant écho de vérité se dégageait de ces instants. C’est ainsi que l’idée me vint de dresser une liste de lieux dont je pouvais penser qu’ils me réserveraient de telles surprises : c’étaient les lieux eux-mêmes qui m’envoyaient leurs signaux, et ils le faisaient avec d’autant plus d’insistance qu’entre-temps, grâce aussi (à partir de 1997) à mon travail d’enseignement à l’École nationale de la nature et du paysage de Blois (travail dont bien des échos s’entendront dans ce livre), je me retrouvais plus souvent qu’auparavant sur les routes et porté par la nécessité d’interpréter, comme un apprenti musicien, la partition de ce que je voyais.

Jean-Christophe Bailly, Le dépaysement. Voyages en France, Seuil, p. 12.

Cécile Carret, 15 déc. 2012
sécurité

Comment se sentir en sécurité alors que le suicide est toujours possible ?

Éric Chevillard, « jeudi 4 septembre 2014 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 4 sept. 2014
acculé

Ira-t-il jusqu’à rogner

sur ses projets ?

Il ne fait plus rien

de peur d’être distrait

de peur de louper la vie

Et ce n’est qu’acculé par les heures

se liguant puissamment contre lui

qu’il jette

son petit nuage d’encre.

Jean-Pierre Georges, Où être bien, Le Dé bleu, p. 60.

David Farreny, 1er mai 2015

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