bornes

Ainsi sait faire la mescaline (si toutefois vous ne lui êtes pas obtus et résistant) vous projetant loin du fini, qui partout se découd, se montre pour ce qu’il est : une oasis créée autour de votre corps et de son monde, à force de travail, de volonté, de santé, de volupté, une hernie de l’infini.

La mescaline refuse l’apaisement du fini que l’homme savant en l’art des bornes sait si bien trouver.

La mescaline, son mouvement tout de suite hors des bornes.

Infinivertie, elle détranquillise.

Et c’est atroce.

Henri Michaux, « L’infini turbulent », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 813.

David Farreny, 21 déc. 2003
raideur

— Pas de lettre ?

— Elles se chauffent au bord de la route, répondait le postier en soufflant sur ses doigts.

Le courrier ne passait plus depuis dix jours. C’était vraiment la lune ici. Nous nous y trouvions bien. Mes élèves me laissaient quand même du temps pour travailler. J’essayais d’écrire, péniblement.

Le départ est comme une nouvelle naissance et mon monde était encore trop neuf pour se plier à une réflexion méthodique. Je n’avais ni liberté ni souplesse ; l’envie seulement, et la panique pure et simple. Je déchirais et recommençais vingt fois la même page sans parvenir à dépasser le point critique. Tout de même, à force de me buter et de pousser j’obtenais parfois pour un petit moment le plaisir de dire sans trop de raideur comme j’avais pensé. Puis je décrochais, la tête chaude, et regardais par la fenêtre notre dindon Antoine, une volaille décharnée que nous nous flattions d’engraisser pour Noël, tourner dans le jardin enneigé.

Nicolas Bouvier, L’usage du monde, Payot & Rivages, p. 162.

Cécile Carret, 30 sept. 2007
moral

Il faut profiter, pour respirer une dernière fois, du jeu entre les nations, de la maladresse des administrations, pour lesquelles des frontières existent encore. Bientôt, ce sera le règne des ordinateurs interchangeables, un immense réseau moral d’interpolices.

Paul Morand, « 24 janvier 1969 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 137.

David Farreny, 25 mai 2009
ennui

On peut sortir de l’ennui ou essayer d’en faire sortir autrui en (se) proposant une activité, une relation ; en interprétant l’ennui comme un appel (comme on le dit de certains suicides) : appel à l’aide, appel du vide à ce qui pourrait le remplir.

Quand on agit ainsi, on suppose qu’il est bon non seulement de sortir de l’ennui, mais de se détourner de lui.

Pierre Pachet, Sans amour, Denoël, p. 45.

Cécile Carret, 13 mars 2011
nain

Buter sur une limite, de tête, de cœur, de main, de temps… Toujours revenir à ce constat simple : la vie devrait être un continuel élan libre, et elle est perpétuellement restreinte, tenue à l’étroit par le réel, brimée, voire interdite. Tout rabattre à ras, dès lors, revient à maintenir possible un bonheur nain.

Antoine Émaz, Cuisine, publie.net, p. 32.

Cécile Carret, 2 fév. 2012
sens

Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais, dans les beaux livres, tous les contresens qu’on fait sont beaux.

Marcel Proust, « Conclusions », Contre Sainte-Beuve, Gallimard.

David Farreny, 12 sept. 2012
en

Si quelqu’un vous dit ah la poésie ! vous êtes prêt à lui faire écho. Mais s’il vous en débite c’est une autre affaire.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 86.

Cécile Carret, 8 déc. 2013
film

Les grands moments d’une vie, les beaux, les forts, tiendraient sur une alléchante bande-annonce. Mais il faut se taper tout le film.

Éric Chevillard, « jeudi 19 juillet 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 27 fév. 2024

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