aliéné

Je déteste les drogues. Mes hallucinations habituelles sont bien assez monstrueuses, Hadès en soit loué ! Objectivement considéré, je n’ai jamais vu un esprit aliéné plus lucide, plus solitaire et plus équilibré que le mien.

Vladimir Nabokov, Partis pris, Julliard, p. 148.

David Farreny, 13 avr. 2002
mort-nés

Or, c’était, ce quart de seconde, un de ces quarts de seconde qui comptent dans une vie, qui se comptent, ou se décomptent, tant il est vrai que les autres passent, mort-nés, pas même distincts de leurs confrères, à peine successifs, dans cette sensation de globalité qui emporte les jours ordinaires — presque tous, en fait.

Christian Oster, Mon grand appartement, Minuit, p. 70.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2002
valences

Des idées passent, fulgurantes, mais qu’il ne reverra plus (inutilisables). Des impressions à changer toute une vie, mais aussitôt perdues dans les coulisses du néant. Une agitation le prend, seule réponse possible aux commencements contradictoires qui se forment en lui. Une titillation d’envies, d’envies incessantes, extrêmes et puis disparues, qui reviennent ou pareilles ou autres, mais toujours tendues, éperdument désirantes. Des pulsions apparaissent dans un entrebâillement de conscience de plus en plus court, de plus en plus outrées, d’une outrance de plus en plus incompatible avec toute vie sociale, avec sa propre vie dans quelque milieu que ce soit. Débordantes envies qu’il lui faut veiller à réprimer dans l’instant.

L’intelligibilité s’accroît merveilleusement. Idées fringantes, prodigieusement interrelationnées, tenant par vingt valences, éclairées à la lumière d’un phare invisible.

Il voit. Il a compris, mais dans un tournoiement tout disparaît. Il reste un bourdonnement énigmatique.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, pp. 133-134.

David Farreny, 21 oct. 2005
malgré

Je suis persuadé qu’à un niveau profond de vérité, tous ceux qui écrivent fantasment selon les mythes du “grand écrivain” — c’est inévitable. Mais parce que cela est vrai en profondeur, vaguement, inconsciemment, ce ne l’est pas pour autant à la surface, clairement, intellectuellement — pas plus que le « On écrit pour être aimé » de R.B. : phrase que les idiots, à juste titre, trouvent idiote, et dont ils estiment qu’elle ne peut concerner que les imbéciles, alors qu’en fait elle est très vraie, mais vraie seulement au troisième ou quatrième niveau de profondeur, et fausse comme vérité de surface (sauf pour quelques imbéciles, justement ; moi j’écris pour n’être pas aimé, superficiellement, et, plus profondément (ou moins superficiellement), pour être aimé malgré toutes les raisons qu’il y a (que je donne) de ne pas m’aimer (le seul amour qui vaille est l’amour malgré (l’autre, c’est trop facile))).

Renaud Camus, « jeudi 24 juin 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 604.

David Farreny, 11 oct. 2007
manques

— La beauté ? C’est ce qui me fait défaut, lui dis-je.

— C’est plutôt ce à quoi tu manques.

Richard Millet, L’amour mendiant, La Table ronde, p. 87.

David Farreny, 5 déc. 2007
mort

       Or à jamais tu dormiras,

Cœur harassé. Mort est le dernier mirage,

Que je crus éternel. Mort. Et je sens bien

Qu’en nous des chères illusions

Non seul l’espoir, le désir est éteint.

Dors à jamais. Tu as

Assez battu. Nulle chose ne vaut

Que tu palpites, et de soupirs est indigne

La terre. Fiel et ennui,

Non, rien d’autre, la vie ; le monde n’est que boue.

Or calme-toi. Désespère

Un dernier coup. À notre genre le Sort

N’a donné que le mourir. Méprise désormais

Toi-même, la nature, et la puissance

Brute inconnue qui commande au mal commun,

Et l’infinie vanité du Tout.

Giacomo Leopardi, « À soi-même », Chants, Flammarion, p. 201.

David Farreny, 10 juin 2009
proliférer

On aurait dit que sa féminité se passait aisément de fécondation et qu’il eût suffi d’un arôme un peu masculin, d’une vague odeur de tabac, d’une blague un peu grivoise pour qu’elle se mît aussitôt à proliférer luxurieusement.

Bruno Schulz, « Août », Les boutiques de canelle, Denoël, p. 45.

Cécile Carret, 5 déc. 2009
disparaître

Cette manière de saluer en s’inclinant en avant aussi bas que possible était enseignée aux petits garçons dès l’âge de trois ans. Elle marquait de façon presque irréversible les différences hiérarchiques sur lesquelles était pour une large part construite, non seulement socialement, mais jusqu’au sein des mentalités, l’Allemagne de la fin du XIXe siècle. Ce salut, le plus jeune le devait au plus âgé et le subordonné à son « supérieur ». Les petites filles, elles, exécutaient leur Knicks dans les mêmes conditions, elles fléchissaient genoux et chevilles, pour disparaître verticalement et réapparaître ensuite. Cette marque de respect s’est conservée jusqu’en 1968. Ce n’est que depuis cette date qu’on ne voit plus les enfants et les jeunes gens disparaître sous leur propre bras.

Georges-Arthur Goldschmidt, La traversée des fleuves. Autobiographie, Seuil, p. 45.

Cécile Carret, 10 juil. 2011
consacré

Il alla se baigner, pour se laver des maux de tête et battements de cœur de la nuit, de la poussière de l’école et de tout.

Déshabillé, en maillot de bain, il resta longtemps assis sur un rocher. Il écoutait le grondement de l’eau, qui à chaque instant débouchait du champagne frais en pétaradant. Plus il descendit vers elle, se lia d’amitié avec elle, la flatta. Quand il vit qu’elle ne lui faisait pas de mal, il la gifla des deux mains, avec l’arrogance lèse-majesté de la jeunesse, aussi téméraire qu’un nourrisson qui frappe un tigre royal. Il s’immergea en elle. Il en ressortit en s’ébrouant et s’esclaffa. Il se balança à sa surface fragile comme du verre. Il chanta et hurla. Il se rinça la gorge avec eau salée et l’y recracha, car la mer est aussi un crachoir, le crachoir des dieux et des jeunes gens indociles.

Puis, les bras grands ouverts, il jeta son corps dans le bleu perlé pour s’unir enfin à elle. Il n’avait plus peur de rien. Il savait qu’après cela, il ne pourrait plus lui arriver grand mal. Ce baiser et ce voyage l’avaient consacré.

Il nagea loin, au-delà de la ligne des bouées, là où il soupçonnait déjà des dangers – requins, cadavres, ancres rouillées, épaves de bateau –, pour faire sien tout ce qui est beau et laid, tout ce qui est visible et invisible.

Dezsö Kosztolányi, Kornél Esti, Cambourakis, p. 76.

Cécile Carret, 28 août 2012
analogie

Exerce avec retenue ton sens de l’analogie ou tu pourrais bien découvrir qu’il n’existe qu’une pauvre chose grise et flasque d’un bord à l’autre du monde.

Éric Chevillard, « vendredi 2 septembre 2022 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer