museau

Quelques arbres, de la rivière, des barques, une certaine France de la mesure, des petites paresses, nonchalance et maupassaneries. On dirait que l’on caresse le museau d’un veau.

Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 149.

David Farreny, 5 janv. 2006
consentir

Il étendit ses jambes devant lui, le plus loin qu’il put ; et si limité qu’il fût, leur déplacement lui parut interminable. À ce moment-là, le bruit de l’avenue était si fort qu’il n’entendit pas le raclement de ses semelles sur le sable ; et ce fut comme si, la dernière preuve de son existence matérielle lui ayant été retirée, il avait enfin trouvé la clef du passage et de la révélation. Il se sentit soudain soulagé, pardonné, absous ; tout était bien, il s’agissait seulement de consentir. Cette idée le transporta : il lui sembla qu’elle seule était encore capable de mobiliser ses forces déclinantes. Ses yeux se fermèrent, de nouveau, mais sur une lumière douce, accueillante, comme celle d’un matin d’été filtrant à travers des volets qu’on tarde paresseusement à ouvrir. Le fracas de la ville le traversait de part en part, et il n’y faisait pas d’obstacle ; la fraîcheur de l’air vif tendait la peau de son front, celle de ses joues, son menton. Il le devinait, une part de lui-même était déjà prête à s’associer au grand emportement des choses, à leur dérive, à la dispersion environnante. Il sentit même qu’il s’efforçait d’en percevoir la direction afin de s’y joindre, mais il n’y parvenait pas bien. À peine sorti de lui, son élan retombait sans force ou plutôt se figeait à son contour comme une buée tiède.

Danièle Sallenave, Un printemps froid, P.O.L., p. 63.

Élisabeth Mazeron, 26 fév. 2007
État

Rien à faire : la rixe intérieure fait trop de bruit. L’un des camps croit-il avoir pris le dessus, il célèbre en fanfare sa très courte victoire, et vous voici soumis à des agitations bien plus sévères encore, par les applaudissements qu’il se donne, et par les résolutions politiques d’urgence qu’elle lui dicte ; lesquelles, à peine vous y êtes-vous rangé de plus ou moins bon gré, sont annulées par un non moins illusoire succès de l’adverse camarilla. Le mieux serait sans doute de se taire, et d’attendre. Mais vous ne savez vous y résoudre. Il vous faut bien maintenir coûte que coûte, dans ce chaos, la fiction de votre autorité, si dérisoire qu’elle semble à tous. Oh ! Vous avez coupé, par force, les liens avec le monde, l’étranger, les éventuels alliés et les ennemis de toujours. Il ne manquerait plus qu’une extension du conflit hors de vos étroites frontières, avec protecteurs plus ou moins désintéressés, pour chacune des brigues locales ! Plus de relations extérieures, du moins de votre fait. Mais vous voulez, tout de même, continuer d’administrer votre petit État, tout ravagé qu’il est par les tirs de mortier continuels du souvenir et de l’espoir, de la vindicte et de la rage ; ou du moins faire semblant. Et c’est de votre part une avalanche de textes, de proclamations, de décrets, qui n’obéissent à d’autre exigence que de noircir les affichettes officielles, sur les grilles du palais en ruine et sous les arcades de votre naine capitale : car cette encre jamais ne se mélange à la suite des jours, ces phrases sont sans liens avec la réalité des événements et des choses, ces paroles du crieur public sont déjà perdues à son premier roulement de tambour ; en rien ne se commettent-elles avec l’air ni le cri, l’événement ni la pluie, la chambre, les visages, les façades, le pas.

Renaud Camus, Le lac de Caresse, P.O.L., pp. 52-53.

Élisabeth Mazeron, 7 fév. 2009
espérance

Ces longues journées de paix studieuse, de solitude, estompent l’indigence et l’amertume du présent, laissent remonter les heures lointaines où je vivais sans y songer, le temps inconcevable, désormais, de l’enfance, de la première adolescence. J’éprouvais, dès alors, des peines pareilles à celles d’aujourd’hui, une envie de crever à laquelle les années ultérieures n’ont pas tellement ajouté. Mais jamais plus je n’aurai de joies comparables à celles d’alors. C’est qu’elles étaient faites, pour l’essentiel, de l’espérance du bonheur, dont Rousseau dit qu’elle est tout le bonheur.

Pierre Bergounioux, « mercredi 19 février 2003 », Carnet de notes (2001-2010), Verdier, p. 333.

David Farreny, 26 janv. 2012
banlieues

Les premiers ramas informes des banlieues exhalent les sueurs acides de la nuit. Vus de cette hauteur, les bâtis tassés les uns contre les autres dessinent la planimétrie d’une ville en ruine, comme ravagée par une guerre sournoise. Ce sont les restes d’une rêverie que l’aube de l’aviation, vers 1910, avait vu prendre forme sur les planches à dessin où les ingénieurs projetaient la cité future. Elle ne s’est pas réalisée. Ne restent que ces parallélépipèdes de béton, ces pauvres fabriques, ces débris de cabanes, de masures, de petits pavillons faits de maigres matériaux, toutes ces épaves laissées dans les banlieues par le reflux des utopies. Interminable paysage de chantiers, dont on ne distingue pas s’ils sont en cours ou bien déjà abandonnés.

Jean Clair, Lait noir de l’aube, Gallimard, p. 147.

Guillaume Colnot, 25 sept. 2013
favorable

Le bonheur d’une expression vaut tout autant qu’une pensée heureuse, puisqu’il est presque impossible de se bien exprimer sans mettre en favorable lumière ce qu’on exprime.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 270.

David Farreny, 13 janv. 2015

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