crochet

Je comprends parfaitement les femmes qui font de la broderie par chagrin, et celles qui font du crochet parce que la vie existe.

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois, p. 31.

David Farreny, 9 fév. 2003
vomir

Me réjouir ? Vomir ?

Witold Gombrowicz, Cosmos, Denoël, p. 96.

David Farreny, 15 fév. 2004
ménage

Combien souvent en ces heures interminables, quoique courtes en fait, de l’expérience du terrible décentrage, combien souvent n’a-t-il pas songé à ses frères, frères sans le savoir, frères de plus personne, dont le pareil désordre en plus enfoncé, plus sans espoir et tendant à l’irréversible, va durer des jours et des mois qui rejoignent des siècles, battus de contradictions, de tapes psychiques inconnues et des brisements d’un infini absurde dont ils ne peuvent rien tirer.

Il sait maintenant, en ayant été la proie et l’observateur, qu’il existe un fonctionnement mental autre, tout différent de l’habituel, mais fonctionnement tout de même. Il voit que la folie est un équilibre, une prodigieuse, prodigieusement difficile tentative pour s’allier à un état disloquant, désespérant, continuellement désastreux, avec lequel il faut, il faut bien que l’aliéné fasse ménage, affreux et innommable ménage.

Henri Michaux, « Connaissance par les gouffres », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 96.

David Farreny, 21 oct. 2005
drap

On voudrait repousser soi comme on repousse un drap. On voudrait crever sa peau et glisser comme un poisson dans la lumière. On voudrait un temps unique qui ne sépare de rien. Qui nous a mis ça en tête ? On voudrait nager tout entier dans le corps d’une femme, pour ne plus penser. Qui nous a mis ça en tête ? On voudrait mille autres choses de moindre importance, pour tuer l’orgueil démesuré. On ne voudrait plus attendre, s’affaler sur l’autre rive où miroite sous la frondaison un sable blond comme miel. Qui nous a mis ça en tête ? On voudrait ce que des milliards d’hommes n’ont pas même osé rêver. Par misère ou par pudeur.

Jean-Pierre Georges, Aucun rôle dans l’espèce, Tarabuste, p. 95.

Élisabeth Mazeron, 28 juin 2006
couches

j’ai beaucoup été couchée,

dans des couches de jour et de sommeil différents.

Sabine Macher, Un temps à se jeter, Maeght, p. 38.

David Farreny, 3 mars 2008
tribunal

Je ne sais plus ce que c’est que le temps libre ni la paix. Toujours une grande voix sévère me rappelle combien je suis ignorant et que je vais mourir, qu’il ferait beau voir que je sois un instant sans chercher à comprendre ce qui s’est passé avant que tout finisse. Le tribunal siège en permanence.

Pierre Bergounioux, « lundi 28 janvier 1985 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 372.

Élisabeth Mazeron, 12 nov. 2008
exacte

Toute propriété du langage étant impossible, l’écrivain et l’homme privé (quand il écrit) sont condamnés à varier d’emblée leurs messages originels, et puisqu’elle est fatale, à choisir la meilleure connotation, celle dont l’indirect, parfois fort détourné, déforme le moins possible, non pas ce qu’ils veulent dire, mais ce qu’ils veulent faire entendre […]. L’écriture est en effet, à tous les niveaux, la parole de l’autre, et l’on peut voir dans ce renversement paradoxal le véritable « don » de l’écrivain ; il faut même l’y voir, cette anticipation de la parole étant le seul moment (très fragile) où l’écrivain (comme l’ami compatissant) peut faire comprendre qu’il regarde vers l’autre […].

L’originalité est donc le prix dont il faut payer l’espoir d’être accueilli (et non pas seulement compris) de qui vous lit. C’est là une communication de luxe, beaucoup de détails étant nécessaires pour dire peu de choses avec exactitude, mais ce luxe est vital, car dès que la communication est affective (c’est la disposition profonde de la littérature), la banalité lui devient la plus lourde des menaces. C’est parce qu’il y a une angoisse de la banalité (angoisse, pour la littérature, de sa propre mort) que la littérature ne cesse de codifier, au gré de son histoire, ses informations secondes (sa connotation) et de les inscrire à l’intérieur de certaines marges de sécurité. Aussi voit-on les écoles et les époques fixer à la communication littéraire une zone surveillée, limitée d’un côté par l’obligation d’un langage « varié » et de l’autre par la clôture de cette variation, sous forme d’un corps reconnu de figures ; cette zone — vitale — s’appelle la rhétorique, dont la double fonction est d’éviter à la littérature de se transformer en signe de la banalité (si elle était trop directe) et en signe de l’originalité (si elle était trop indirecte). Les frontières de la rhétorique peuvent s’agrandir ou diminuer, du gongorisme à l’écriture « blanche », mais il est sûr que la rhétorique, qui n’est rien d’autre que la technique de l’information exacte, est liée non seulement à toute littérature, mais encore à toute communication, dès lors qu’elle veut faire entendre à l’autre que nous le reconnaissons : la rhétorique est la dimension amoureuse de l’écriture.

Roland Barthes, « Essais critiques », Œuvres complètes (2), Seuil, pp. 277-278.

David Farreny, 12 sept. 2009
aveu

Eh bien, cette propension à l’aveu que je manifeste de temps à autre vient, me semble-t-il, de deux sources bien différentes. La première étant, comme j’ai dit, la certitude bien ancrée qu’aucun aveu ne change quoi que ce soit à sa propre personnalité, ne guérit ni n’aggrave ses éventuelles failles, la certitude anti-psychanalytique en somme — une des seules peut-être qui ne m’aient jamais quitté, avec celle de l’inexistence de Dieu. La seconde étant une extraordinaire surestimation de moi-même dont il m’arrive de temps à autre d’être victime, et qui m’amène à penser qu’aucun aveu ne pourra épuiser l’indéfinie richesse de ma personnalité, qu’on pourrait puiser sans fin dans l’océan de mes possibles — et que si quelqu’un croit me connaître, c’est simplement qu’il manque d’informations.

Je me sens parfois comme Nietzsche jugeant bon, dans Ecce homo, de livrer à l’impression le détail de ses habitudes alimentaires, comme son goût pour le « cacao fortement dégraissé », persuadé qu’il était que rien de ce qui le concernait ne pouvait être absolument sans intérêt (et le pire est que ce sont des pages qu’on lit, en effet, avec un certain plaisir ; des pages qui, peut-être, survivront à Ainsi parlait Zarathoustra).

Michel Houellebecq, Ennemis publics, Flammarion-Grasset, pp. 47-48.

David Farreny, 18 sept. 2009
fatigue

Or en ce temps-là, j’étais fatigué, d’une fatigue déjà ancienne, incarnée, que je croyais irrémédiable. Ce n’était pas la fatigue que nous connaissons tous, qui se dépose sur le bien-être et l’étreint comme une paralysie temporaire, c’était un manque définitif, une amputation. Je me sentais vidé, comme un fusil déchargé, et Valerio était comme moi, même s’il en avait moins conscience, et tous les autres aussi.

Primo Levi, « Capaneo », Lilith, Liana Levi, p. 12.

Cécile Carret, 21 mars 2010
espace

Dans les périodes de transition, parmi lesquelles je compte la semaine passée et, à tout le moins, cet instant-ci, je suis souvent saisi d’un étonnement triste, mais tranquille, en constatant mon insensibilité. Je suis séparé de toutes choses par un espace creux à la limite duquel je ne me presse même pas d’arriver.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 184.

David Farreny, 13 oct. 2012

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