existence

Des professeurs parlent de la difficulté qu’ils rencontrent à faire leur métier face à des classes dont les effectifs sont à quatre-vingt-dix pour cent composés d’étrangers ou d’enfants d’étrangers — mais bien entendu ces classes-là ne sont sans doute pas, elles, majoritaires…

Contre-épreuve, on voit aussi quelques images de la rentrée des classes en Suède : là-bas tous les enfants ou presque sont de type emphatiquement “suédois” ; tandis qu’il est désormais tout à fait impossible, évidemment, et pour des raisons d’ordre divers, de parler d’enfants de type “français”.

Dommage, c’était un type que j’aimais — pas plus que les autres, d’ailleurs : mais j’aimais son existence.

Renaud Camus, « mercredi 4 septembre 2002 », Outrepas. Journal 2002, Fayard, p. 412.

David Farreny, 3 juil. 2005
Asti

J’ai poussé un autre cri de terreur le jour du 15 août. Incrustée dans la porte d’entrée pour le moindre bruit dans les escaliers, je l’attendais depuis huit heures du matin avec notre pique-nique dans mon fourre-tout. Avec l’Asti spumante. Je prenais parfois la bouteille dans mes bras : il doit venir, il viendra. Je vérifiais la fraîcheur de mon mouchoir parfumé pour son front moite. Nous n’irons pas à Chevreuse. Il a préparé un itinéraire. Pas sur le quai du métro, je te dis pas sur le quai du métro. Je viendrai te chercher ici. Pourquoi insistait-il ? J’ai froid dans le dos. S’il tarde, l’Asti sera tiède. Nous l’enterrons. […] Je l’ai attendu pendant deux heures. Tous sont partis dans les bois. Ne tremble pas, ma lèvre, surtout ne tremble pas. Ce privilège est pour les peupliers. Il viendra, ne te décourage pas, ma lèvre. Mon cahier, fermé jusqu’à demain après-midi. Comment parviendrai-je à écrire si j’oublie de vivre…

Violette Leduc, La chasse à l’amour, Gallimard, p. 234.

Cécile Carret, 5 juin 2007
géographie

Il est reposant de rouler sur le plateau de Saclay, entre les labours et les bois défeuillés, noirs contre le ciel qui s’est éclairé, enfin, d’un bleu pâli, convalescent, où flotte le soleil falot de février.

Il fait un peu de vent. La température n’excède pas un ou deux degrés et mes vieilles cicatrices d’opération, dans la gorge, se remettent à vivre, dessinent, dans l’épaisseur de la chair, une bizarre et douloureuse géographie.

Pierre Bergounioux, « samedi 2 février 1991 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 13.

David Farreny, 20 nov. 2007
défaite

On ne cesse d’osciller, dans l’irrésolution la plus critique, entre la position de neutralité attentiste, flirtant avec la tentation de s’abstenir, de faire le mort ou de renoncer purement et simplement, et l’envie d’aller quand même de l’avant, de répondre coûte que coûte à l’appel réitéré, à l’invitation paradoxale de la vie. Mais rarement quelqu’un se trouve là au bon moment, derrière soi, susceptible de comprendre ce dilemme, cette angoisse d’exister, cette défaite en puissance, et de tendre le bras pour une caresse de consolation, un geste réconfortant, un signe qui rompe le délaissement, atténue la déception, restaure un peu de la confiance perdue.

Hubert Voignier, Le débat solitaire, Cheyne, p. 66.

Élisabeth Mazeron, 21 fév. 2008
moment

Je songe qu’il est juste et bon que ce soit à Jean que le sort ait fait cette faveur. Il manquerait à ses jeunes années ces bonheurs inattendus, énormes, immérités qui nous semblent, non seulement dans l’instant mais plus tard, lorsqu’on s’est rangé à la triste loi des jours et qu’on se les rappelle, à peine croyables. Que le premier geste aille comme négligemment au but alors que deux heures d’efforts opiniâtres ne m’ont rien livré, voilà qui trahit l’intervention d’un esprit bienveillant, du dieu bénin, munificent qui marche aux côtés des petits enfants. À moi aussi, il a fait quelques largesses invraisemblables, quand ce fut le moment.

Pierre Bergounioux, « jeudi 31 mars 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 195.

Élisabeth Mazeron, 28 sept. 2008
jobard

Un vaniteux béat peut être d’agréable commerce, encore qu’il parle trop de soi, mais il prête à rire : c’est un jobard : il prend pour argent comptant toutes les politesses. Frustré, il glisse à la mythomanie, il s’en conte beaucoup plus qu’on ne lui en dit ; ou alors il s’aigrit, il mijote des rancunes et des revanches qui ne sentent pas bon. De toute façon, il triche ; sa suffisance est contredite par la dépendance à laquelle il se soumet : quémandant les flatteries, il s’abaisse quand il prétend se hausser. À trop se complaire à son image, il finit par s’y enfermer ; il tombe fatalement dans l’importance qui est la véhémence de la vanité.

Simone de Beauvoir, La force des choses (I), Gallimard, p. 167.

Élisabeth Mazeron, 19 déc. 2009
empêche

Ce qui l’empêche de se lever est une certaine pesanteur, le sentiment d’être à l’abri quoi qu’il arrive, le pressentiment d’un lieu de repos qui lui est préparé et n’appartient qu’à lui ; ce qui l’empêche de rester couché est une inquiétude qui le chasse de sa couche, sa conscience, son cœur qui bat interminablement, sa peur de la mort et son besoin de la réfuter, tout cela l’empêche de rester couché et il se relève. Ces hauts et ces bas, ainsi que quelques observations rapides et insolites faites par hasard sur ces chemins constituent sa vie.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 501.

David Farreny, 9 nov. 2012
lâcher

Relu et détruit des élégies de jeunesse (1975). Il ne s’agit pas de soigner ses propres traces mais de lâcher du silence entre les signaux.

Gérard Pesson, « lundi 10 mai 1993 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 101.

David Farreny, 19 oct. 2014

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