Ma mère […]. Elle a tout fait pour que je vive, c’est naître qu’il aurait pas fallu.
Louis-Ferdinand Céline, Mort à crédit, Le Livre de poche, p. 43.
Cycle des scories, le dernier : le nôtre, le gauchisme.
Dominique de Roux, Immédiatement, La Table ronde, p. 44.
Par
1 000 m de fond
l’émerveillement gît
Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 22.
Le corps se transforme en passant une frontière, on le sait aussi, le regard change de focale et d’objectif, la densité de l’air s’altère et les parfums, les bruits se découpent singulièrement, jusqu’au soleil lui-même qui a une autre tête.
Jean Echenoz, Je m’en vais, Minuit, p. 207.
Dans les mêmes villes à travers les années nous avons marché, la nuit, avec tant de compagnons différents : le soupçon nous en vient qu’il n’est d’autre permanence à espérer qu’en nous-mêmes ; de quelle précaire qualité n’est dès lors que trop évident.
Renaud Camus, « dimanche 21 septembre 1986 », Journal romain (1985-1986), P.O.L., p. 416.
Ainsi la métaphore, dès lors qu’elle s’impose en usage, se mue en cliché, en stéréotype qui est la glu de la langue ; le stéréotype colle les mots à leur signification courante dans une expression repliée sur elle-même, il les entrave au point qu’on ne les entend plus, réduits qu’ils sont à la transparence de spectres sonores. Ce mouvement mortifère nie du même coup toute possibilité concrète d’existence dans les représentations collectives autant qu’individuelles de l’émotion particulière que le cliché prétendait exprimer mais qu’il enferme dans cette camisole de l’expression : la transparence des mots qu’il provoque entraîne de facto la transparence de ce qu’ils signifient, et en premier lieu l’émotion, au seul profit de l’ordre collectif, qui raffole des émotions, mais ne les tolère que dirigées et programmées (qu’elles soient religieuses, nationalistes ou médiatiques).
Bertrand Leclair, Théorie de la déroute, Verticales, p. 19.
— Et vous, que faites-vous ?
— La même chose que le serveur de Pest qui prend huit commandes de café à la fois. L’un des clients commande le café clair et tiède, l’autre noir et brûlant, le troisième noisette et froid, et le serveur crie au garçon de comptoir : « huit cafés ! » tout simplement.
Dezsö Kosztolányi, Portraits, La Baconnière, p. 103.
Et je voyais la jeunesse comme un fleuve, un libre confluent, un flot durablement commun dont j’avais été exclu, en même temps que tous les autres élèves, en entrant à l’internat. C’est un temps perdu qu’il n’était plus possible de rattraper. Il me manquait quelque chose, quelque chose de décisif pour la vie et qui me manquerait toujours. Comme bien d’autres de mes contemporains du village, j’avais un membre en moins ; mais il ne m’avait pas été arraché, comme un pied ou une main, il n’avait tout simplement pas pu se former, et ce n’était pas seulement une extrémité, comme on dit, mais un organe auquel rien ne pouvait suppléer. Mon infirmité était de ne plus pouvoir rien faire avec les autres : ni agir ni parler avec eux. C’était comme si je m’étais échoué, invalide, et que le courant qui n’avait apporté que moi se fût écoulé pour toujours. Je savais que j’avais besoin de la jeunesse, pour tout ce qui allait suivre ; l’avoir désormais manquée sans retour me rendait incapable de mouvement, provoquait même parfois, surtout dans la société des gens de mon âge, qui était pourtant celle qu’il me fallait, une crampe d’immobilisation intérieure très douloureuse qui me faisait jurer envers les responsables de ma paralysie – car ils existaient ! – une haine inexpiable.
Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 41.
Au seuil d’une belle journée et ainsi jusqu’au soir sans même la voir décliner, demeurant sur son seuil infranchissable. Constatation familière.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 179.
Le fou secouait la cloche pour la débarrasser de tout ce bruit.
Éric Chevillard, « mardi 14 juin 2016 », L’autofictif. 🔗
Les gens ne fument plus ; ils ne se demandent plus de feu. Les gens ont tous une horloge et un GPS sur leur téléphone ; ils ne se demandent plus l’heure ni le chemin. Cette fois, je crois bien que nous n’avons plus rien à nous dire.
Éric Chevillard, « vendredi 26 avril 2024 », L’autofictif. 🔗