lâchent

Mais mes identités me lâchent avant la fin de mes phrases.

Renaud Camus, « samedi 26 avril 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 79.

David Farreny, 30 juil. 2005
malgré

Je suis persuadé qu’à un niveau profond de vérité, tous ceux qui écrivent fantasment selon les mythes du “grand écrivain” — c’est inévitable. Mais parce que cela est vrai en profondeur, vaguement, inconsciemment, ce ne l’est pas pour autant à la surface, clairement, intellectuellement — pas plus que le « On écrit pour être aimé » de R.B. : phrase que les idiots, à juste titre, trouvent idiote, et dont ils estiment qu’elle ne peut concerner que les imbéciles, alors qu’en fait elle est très vraie, mais vraie seulement au troisième ou quatrième niveau de profondeur, et fausse comme vérité de surface (sauf pour quelques imbéciles, justement ; moi j’écris pour n’être pas aimé, superficiellement, et, plus profondément (ou moins superficiellement), pour être aimé malgré toutes les raisons qu’il y a (que je donne) de ne pas m’aimer (le seul amour qui vaille est l’amour malgré (l’autre, c’est trop facile))).

Renaud Camus, « jeudi 24 juin 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 604.

David Farreny, 11 oct. 2007
blanquette

Bouquet ravissant de genêts de la forêt mêlés au lilas blanc. L’alimentation, c’est rapide ; la cuisine, c’est lent. Demandé à Louise de me faire une blanquette de veau « comme dans mon enfance ». Première conférence sur le morceau de boucherie : jarret, gluant ; collier, trop mou ; on se décide pour l’épaule, malgré mes préventions contre l’épaule, trop nerveuse. 1 h 1/2 de cuisson, avec écumoire à la main ; les herbes, le bouquet, les petits oignons blancs. Un roux avec morilles fraîches, deux jaunes [d’œufs]. (Les morilles sont une erreur ; d’abord 1100 F les 200 g, puis elles disparaissent ; il eût fallu de gros champignons de Paris.) Une heure plus tard, c’est prêt. Je constate que je n’aime pas la blanquette.

Paul Morand, « 17 mai 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, pp. 395-396.

David Farreny, 25 mai 2009
repentir

Pourquoi se corriger, se repentir ? La nature s’en charge.

Paul Morand, « 25 juin 1970 », Journal inutile (1), Gallimard, p. 408.

David Farreny, 25 mai 2009
monolithe

L’école du respect ignore superbement les distinctions fondatrices du respect de l’école. La réalité humaine qu’elle prend en charge est tout d’une pièce. La culture dont elle est occupée n’est plus une ascèse personnelle et une destination commune, c’est une origine particulière et un intouchable prédicat. Ce n’est plus un cheminement ou un arrachement, c’est un monolithe. Ce n’est plus le soin de l’âme — car l’âme a rendu l’âme — c’est une déclaration d’identité. Alors même qu’il est confronté à la violence de l’être brut notre monde abandonne la culture de l’être pour l’apologie culturaliste de l’être-soi.

Alain Finkielkraut, « Sauve qui peut le respect », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 252-253.

Élisabeth Mazeron, 9 janv. 2010
sublimé

D’ailleurs, si l’on était rendu instantanément à soi en vérité, qu’il faille éprouver tout d’un coup la douleur que c’est, on n’y survivrait pas. On serait désintégré, sublimé.

Pierre Bergounioux, L’orphelin, Gallimard, p. 100.

Élisabeth Mazeron, 16 juin 2010
plaie

La lenteur est restée là cependant, la lente et terrible vie. Ils sont là, derrière les tilleuls tout au fond des cours, ceux qui sont partis chercher du grain et sont revenus sans paille. On ne les voit pas, ils se cachent de père en fils dans des blouses de pharmaciens, ils colligent des dossiers, des actes timbrés, la poussière les tient. Ils sont là, derrière les grappes de glycines, les poètes qui ne sont pas devenus poètes, les lions qui sont devenus chiens, les amoureuses qui ont vainement brûlé jusqu’à la vieillesse, et dont toutes les supériorités ont fait plaie dans l’âme au fur et à mesure que le froid de la province les saisissait, les gelait, doucement les broyait là — et leur laissait le temps, tout le temps d’y penser.

Pierre Michon, « Le temps est un grand maigre », Trois auteurs, Verdier, pp. 24-25.

Élisabeth Mazeron, 1er juil. 2010
tremblement

On s’obstine parfois à vouloir substituer une image à la réalité, on veut épuiser les lieux, les vider une bonne fois de leur pouvoir, faire cesser ce léger tremblement de l’image à l’énoncé d’un nom, on cherche un air de ressemblance, on veut reconnaître un paysage à défaut d’un visage ou d’un souvenir.

Nathalie Léger, Supplément à la vie de Barbara Loden, P.O.L., p. 118.

Cécile Carret, 16 mars 2012
fermoirs

Mais voici l’étincellement de l’éclaircie et du plein soleil sur toutes les flaques, sur toute l’étendue scintillante de pierres et de tuiles imbriquées : voici le vent qui reconquiert son rocher, ridant la surface de l’eau stagnante et séchant dalles, murs et arêtes, réduisant cette roche à un os poli.

Mais l’eau de l’Arno est tenue en respect. Bien qu’assagi par les méandres en amont, le fleuve torrentiel ne cesse d’être une nature sauvage et nue. Le rapport profond que la ville entretient avec lui renvoie toujours à cette domination. Le fleuve est accueilli entre les murailles et au milieu des maisons en sa qualité de fleuve, force bénéfique et insidieuse avec laquelle il est interdit de s’abandonner aux faiblesses. Ni artifices ni flatteries. Après les divagations ombrageuses et les riantes stagnations de Rovezzano, Varlungo et Bellariva, l’Arno est emprisonné par les hautes murailles et, tout en progressant vers le cœur de la ville, resserré dans sa fosse de pierre, enjambé par des ponts bien plus semblables à de puissants fermoirs pour le sertir qu’à des routes pour le franchir.

Mario Luzi, « Paragraphes florentins », Trames, Verdier, pp. 53-54.

David Farreny, 26 fév. 2013
chant

Une seule fois jusque-là s’était produit quelque chose de comparable, à l’internat justement, lorsqu’un jour, convaincu lui-même de ne pas savoir chanter, il y fut invité par le professeur, se leva gorge nouée, prit sa respiration et, au milieu de la classe plongée dans sa torpeur habituelle, tira du plus profond de lui-même un chant étrange et délicat qui fit d’abord éclater de rire les auditeurs, puis leur fit détourner les regards comme dans une bizarre circonspection, un chant, pensait-il, qui devait être enfoui au fond de lui depuis toujours.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 171.

Cécile Carret, 21 sept. 2013

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