équilibre

La contemplation d’un chou rouge coupé en deux lui procura un réconfort : replis blancs et violets, mystérieuse géographie, secrets de cervelle. Il s’arrêtait ainsi devant les structures végétales, minérales, animales, dont la luxuriance baroque semblait résumer la complexité de l’existence. Alors, il ne pensait pas, ne devenait nullement plus lucide, mais il se sentait en équilibre avec ce qu’il contemplait.

Michel Besnier, Le bateau de mariage, Seuil, p. 73.

David Farreny, 13 avr. 2002
commotion

Aux pires moments, en septembre, il me semble que j’avais songé à aider le destin. Le maniement de la cognée facilitait l’examen de certaines pensées. Elles n’avaient pas un contour trop net. L’effort, la sourde commotion qui se communique au fer et à tout le corps empêche qu’on voit trop précisément ce qu’on imagine, la forêt confuse du plateau, les routes désertes, les rencontres mauvaises.

Pierre Bergounioux, Ce pas et le suivant, Gallimard, p. 88.

Guillaume Colnot, 25 avr. 2003
noire

Il faut aimer une eau noire.

Il faut aimer une eau si noire que le bleu du ciel bleu, lorsque malgré tout il s’y mire, à travers les branches, et le blanc des nuages boursouflés que chahute l’autan, voient leur azur et leur candeur — sans s’altérer, bien au contraire, sans rien déchoir de leur franchise et de leur élévation — se ranger en courant, en se tendant, en se creusant, entre les avatars, et parmi les plus noirs, de la noirceur.

Noirs sont les bruns, noirs sont les verts, noire l’heure, noir son reflet.

Tout n’est que reflet, sous ces couverts ruisselants : la terre trop grasse, les générations de feuilles mortes, ces phrases, le sous-bois tout entier. Reflet cette lumière de mystère policier, de jardins sous la pluie, de découverte archéologique et de plaisirs de serre. Reflet le fond même de la mare, tel qu’on arrive à le distinguer parfois, si l’on sait écarter en esprit les vapeurs qui le sillonnent, dans leur course distraite vers l’Albret, vers l’Armagnac et l’océan. Et reflet ce reflet, bien sûr, de nos attendrissements usés, de nos mélancolies, de nos lectures anciennes et de nos espérances. En le miroir laqué que trouent les continents torturés des morènes, l’image des choses est plus près de leur essence, celle de l’arbre, du soir, de la promenade et de la solitude, que ne le seront jamais ces troncs penchés eux-mêmes, ces bambous trop serrés, cette eau sourde faite terre et qui geint sous le pas, à moins qu’elle ne menace. Le bâton détrempé que nous jetons pour faire clapoter la forêt, onduler la clairière, le silence sortir un instant de ses retranchements broussailleux, il noue quand il retombe, malheureux bout de bois, tous les pans captieux du décor : aussitôt ils sont le drame, au lieu de n’être que son lieu.

Renaud Camus, Onze sites mineurs pour des promenades d’arrière-saison en Lomagne, P.O.L., p. 11.

Élisabeth Mazeron, 12 déc. 2003
abouliques

Sans volonté, nul conflit : point de tragédie avec des abouliques. Cependant la carence de la volonté peut être ressentie plus douloureusement qu’une destinée tragique.

Emil Cioran, « Aveux et anathèmes », Œuvres, Gallimard, p. 1721.

Élisabeth Mazeron, 4 juil. 2005
charmer

Vous voulez demain faire cette démarche. Mais qui vous garantit contre vous-même ? Demain votre volonté d’aujourd’hui aura chu dans le passé, hors de la conscience, elle se sera ossifiée et vous serez entièrement libre par rapport à elle : libre de la reprendre à votre compte ou de vous engager contre elle. On ne peut jurer contre soi ni contre le temps. Le serment à soi, prototype de tous les serments, est une incantation vaine par quoi l’homme essaie de charmer sa liberté future.

Jean-Paul Sartre, « jeudi 23 novembre 1939 », Carnets de la drôle de guerre, Gallimard, p. 220.

David Farreny, 26 déc. 2006
milieu

Pas de milieu : ou on est seul, abandonné, ou on est aimé, c’est-à-dire traqué, isolé, enfermé.

Paul Morand, « 11 mars 1975 », Journal inutile (2), Gallimard, p. 460.

David Farreny, 2 sept. 2010
force

J’avais déjà trouvé en moi la force de fixer froidement le malheur, d’étouffer mes émotions, je commençais alors à comprendre la beauté qu’il y a à détruire.

Bohumil Hrabal, Une trop bruyante solitude, Robert Laffont, p. 21.

Cécile Carret, 25 avr. 2011
longue

La fille est longue, très blanche de peau, éclatante, une lumière mate la nimbe toute quand elle paraît dans l’amphithéâtre rutilant de boiseries sombres et de fresques languides ; longue de jambes et de cheveux ; Claire eût dit longue de crinière ; elle a pensé aux chevaux massifs, croupes rondes encolures de velours pattes solides, crinières pâles partagées répandues épaisses, aux chevaux lourds rassemblés là-bas à l’automne derrière les clôtures de barbelés sur les plateaux ; les vaches ont déserté, quitté l’estive et les chevaux restent seuls en troupes fluides pour faire face aux hivers, aux nuits qui ne finissent pas, au bleu inouï, aux neiges réitérées.

Marie-Hélène Lafon, Les pays, Buchet-Chastel, p. 51.

David Farreny, 30 août 2013
ajourne

Ajourne toute chose. On ne doit jamais faire aujourd’hui ce qu’on peut aussi bien négliger de faire demain.

Fernando Pessoa, « 147. De l'art de bien rêver », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.

David Farreny, 10 mai 2024

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