connotation

Celui-ci vous poursuit de son amitié — en toute bonne foi d’ailleurs : ce néant, c’est vraiment l’amitié pour lui. Il fait même des efforts, il vous appelle régulièrement, il vous rend des services, et vous envoie des cartes postales. En vain : aucune intimité ne se crée. Les mots, entre vous, continuent d’habiter tranquillement leur sens, comme ils le font entre des étrangers : aucune connotation.

Renaud Camus, « mardi 13 septembre 1994 », La campagne de France. Journal 1994, Fayard, p. 326.

David Farreny, 20 mars 2002
moteur

Grands, anciens, constants sont les efforts de chacun pour dissimuler aux yeux des autres et oublier le dissimulé en sa propre mémoire. Et, sauf névrose, ou affaiblissement mental, généralement couronnés d’un succès appréciable, intéressant, rayonnant et moteur.

Henri Michaux, « Façons d’endormi, façons d’éveillé », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 513.

David Farreny, 2 juin 2006
clos

Il traduit aussi le Monde, celui qui voulait s’en échapper. Qui pourrait échapper ? Le vase est clos.

Henri Michaux, « Ailleurs », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 3.

David Farreny, 2 avr. 2007
dissous

Nous ne mourons pas entièrement à notre mort : nous nous sommes graduellement dissous longtemps avant. Faculté après faculté, intérêt après intérêt, attachement après attachement, toutes ces choses disparaissent les unes après les autres ; nous sommes arrachés à nous-mêmes durant notre vie, chaque année qui passe voit en nous un être différent, et la mort ne fait que consigner dans la tombe le dernier fragment de ce que nous étions.

William Hazlitt, Sur le sentiment d’immortalité dans la jeunesse, Allia, p. 45.

Élisabeth Mazeron, 28 nov. 2007
fais

Ah ! et tandis qu’ainsi je me débats, ma vie se poursuit, et continue comme un récit que j’écoute, et mon destin me détermine dans chaque instant (ces hauts et ces bas du moi étaient prévus de tout temps), et sans le savoir, je « fais » la maladie dont je mourrai un jour. (Ce que je fais de plus sérieux, sans doute.)

Valery Larbaud, « Journal intime de A.O. Barnabooth », Œuvres, Gallimard, p. 283.

David Farreny, 4 mars 2008
moi

Cauchemar de l’escalier. — De l’entresol au cinquième, tout entier, devenu une bête, l’escalier se recroqueville, et moi qui au deuxième fumais une « Abdullah ».

Henri Michaux, « Mes rêves d’enfant », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 63.

David Farreny, 11 mars 2008
faiblesse

Cette différence de rythme dans l’évolution, entre les significations et les êtres, est éminemment prévisible — on pourrait même dire fatale — aux moments charnières de l’Histoire, lorsqu’une civilisation s’épuise, et qu’une autre est en train de naître. Ce qui meurt n’est pas forcément une perte. Mais trop bien le connaître, et l’aimer, pour la seule raison que ce fut, que nous avons vécu en son sein, et pensé, et senti, et frémi, et que cela va disparaître, il y a là une faiblesse qui prépare mal à l’ère nouvelle.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., p. 137.

David Farreny, 10 mai 2009
tronqué

En tout point de ce livre-ci se présentent des sorties vers tous les autres livres, ou d’augustes portails, semblables à ceux de parcs magnifiques et profonds qu’il faudrait visiter en chemin mais dont nous sentons bien que pour en goûter l’enchantement, ou pour en apprécier comme il le mérite l’ordonnancement savant, il faudrait non pas nous arrêter là quelques heures mais séjourner longuement, et soumettre nos impressions aux variations de la lumière, des conditions atmosphériques, des saisons de l’année et des âges de la vie. Tout sens est deuil du sens, renonciation, choix forcé, destin tronqué, mais c’est cela ou rien. Pourtant nous n’oublions pas que nous aurions pu consacrer notre existence, aussi bien, à la compréhension presque totale de l’Aréopagite et de ses liens avec la mystique rhénane, à l’entretien ruineux du jardin de Kinloch Castle, sur l’île de Rum, dans les Hébrides, au soulagement des épreuves des immigrés clandestins dans le camp de rétention de Sangatte, près de Calais, ou bien à la connaissance impeccable, et qu’il faudrait avoir simultanément présente à l’esprit, en permanence, du réseau des chemins et sentiers d’un triangle Estramiac-Pessoulens-Tournecoupe. Il faudrait un aleph. Et le vrai sujet de ce livre, c’est son impuissance à entrer dans son sujet ; c’est K. tournant autour du Château ; c’est Bloch ne comprenant pas qu’il fatigue parce que le sens lui-même est fatigué et que l’usage du monde, la politesse, la distinction, la culture elle-même, c’est le clair sentiment de cette fatigue du sens, auquel il ne faut pas trop demander, ni porter une foi trop vive.

Renaud Camus, Du sens, P.O.L., pp. 242-243.

David Farreny, 10 mai 2009
phantasmes

Dino Egger n’est pas un de ces phantasmes, sa pomme d’Adam rougit sous le feu du rasoir, ses cheveux ne tiennent qu’à un fil sur son crâne, il est sujet à des maladies triviales et humiliantes, à des abcès dentaires, à des accès de rage ou d’impatience. Il vivra un temps de petits larcins, d’expédients inavouables. Un marron sur son chemin, il donnera un coup de pied dedans. Il se masturbera sur des images. Il aura peur des chiens, des araignées et des chauve-souris. Il n’est pas beau, et je suis poli. Un jour, il avale une limace minuscule avec sa feuille de salade. Parfois, il pousse une porte qu’il fallait tirer pour ouvrir, et parfois, le contraire lui arrive aussi, tire quand il faudrait pousser. Sa prodigieuse intelligence se forge dans les épreuves, contre ce corps vulnérable, débile, malhabile, qu’il désavoue, où il se trouve logé comme une famille dans une cave et qu’il ne fait pas sien, ne passant vraiment dedans que ses nuits, hors de lui tout le long du jour, dans le nuage de craie de ses calculs, dans le songe de ses pensées.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 34.

Cécile Carret, 27 janv. 2011
cent

En vérité, c’est une chose peu commune, qu’une forêt de trente lieues de longueur, dont les arbres plantés sur une glace couleur de céladon s’élèvent orgueilleusement jusques aux nues, et conservent malgré la rigueur des hivers leur première verdure. Cette forêt de toutes parts est fermée de roches et de montagnes, qui n’ont rien d’affreux que le nom, chargées de neiges jusqu’à la cime, et de pins, qui dans la diversité de leurs couleurs font le plus doux mélange du monde. Du flanc de ces rochers vous voyez des torrents que la nature a glacés, et tient en l’air suspendus, pour s’être voulu précipiter sans son aveu. Ô la belle chose ! Une forêt se voit en cent endroits ; cent roches se voient sur un torrent ; cent torrents, cent roches et cent montagnes se mirent dans une glace ; et toutes, par une réflexion continuelle des unes aux autres, font voir un paysage et des perspectives, dont la beauté et la naïveté surpassent nos idées.

Antoine François Payen, « Le voyage de Suède », Les voyages de Monsieur Payen dédiés à Monseigneur de Lionne, Étienne Loyson.

David Farreny, 21 avr. 2013
jeune

Elle est jeune comme ne peut l’être qu’un très vieux souvenir.

Éric Chevillard, « mardi 19 mars 2019 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 3 mars 2024

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