fatigue

Cette fatigue est loin de m’être particulière. Et c’est elle qui vous ôte de plus en plus toute envie d’échanger des idées avec quiconque. J’ai presque renoncé à écouter le contenu des paroles et me borne à écouter la manière dont elles sont énoncées.

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 71.

David Farreny, 21 mars 2002
découragement

On ne prête pas le flanc au découragement, soudain on est le découragement entier.

François Rosset, L’archipel, Michalon, p. 102.

David Farreny, 5 fév. 2004
aimer

En pleine course — dans le tohu-bohu d’une partie de barres ou de tout autre jeu — je heurtai l’un de mes camarades qui courait en sens inverse et fus projeté contre un mur, si violemment que je me fendis l’arcade sourcilière jusqu’à l’os. Je restai à genoux — ou à quatre pattes — sur le gravier, tête baissée et saignant en abondance. Il paraît que je perdis connaissance, mais je n’en ai aucun souvenir et crus même, avant qu’on ne me certifiât que je m’étais évanoui, avoir gardé constamment toute ma lucidité. La muraille se trouvant à ma droite et ma tête ayant été blessée du côté gauche, je ne réalisais pas que j’avais dû pivoter sur moi-même avant d’occuper la position d’animal assommé dans laquelle je faisais de mornes réflexions. Il me sembla d’abord que la simple rencontre de mon front avec celui de mon condisciple m’avait ouvert la face ; c’est seulement plus tard qu’on me raconta que je m’étais déchiré contre une aspérité du mur, ou contre un clou planté dans ce mur. Je sentais couler mon sang ; je n’éprouvais pas la moindre douleur mais il me semblait, tant le choc avait été violent, que ma blessure était énorme et que j’étais défiguré. La première idée qui me vint fut : « Comment pourrai-je aimer ? »

Michel Leiris, L’âge d’homme, Gallimard, p. 131.

David Farreny, 1er mars 2005
sanctuaire

Les livres sont le seul poids de mon existence. Sans eux, je pourrais vivre à l’hôtel, voyager sans cesse, danser la vie. Je n’ai d’autre attache que la bibliothèque. Mon rêve était d’en établir une une fois pour toutes, d’édifier pour mes proliférants volumes un sanctuaire éternel, aussi précairement éternel, du moins, que je le suis moi-même. La bibliothèque serait bien calée quelque part, stable, sûre, facile d’accès, et moi je serais libre de courir le monde autour d’elle, à partir d’elle, revenant à elle pour consultation dès que le besoin s’en ferait sentir.

Renaud Camus, Aguets. Journal 1988, P.O.L., p. 127.

Élisabeth Mazeron, 19 août 2005
tête

Le corps se transforme en passant une frontière, on le sait aussi, le regard change de focale et d’objectif, la densité de l’air s’altère et les parfums, les bruits se découpent singulièrement, jusqu’au soleil lui-même qui a une autre tête.

Jean Echenoz, Je m’en vais, Minuit, p. 207.

David Farreny, 12 mars 2008
déjà

En un sens, on conçoit fort bien que notre passé ne nous apparaisse point comme limité par un trait net et sans bavures — ce qui se produirait si la conscience pouvait jaillir dans le monde avant d’avoir un passé — mais qu’il se perde, au contraire, dans un obscurcissement progressif, jusqu’en des ténèbres qui pourtant sont encore nous-mêmes ; on conçoit le sens ontologique de cette solidarité choquante avec le fœtus, solidarité que nous ne pouvons ni nier ni comprendre. Car enfin ce fœtus c’était moi, il représente la limite de fait de ma mémoire mais non la limite de droit de mon passé. Il y a un problème métaphysique de la naissance, dans la mesure où je peux m’inquiéter de savoir comment c’est d’un tel embryon que je suis né ; et ce problème est peut-être insoluble. Mais il n’y a pas de problème ontologique : nous n’avons pas à nous demander pourquoi il peut y avoir une naissance des consciences, car la conscience ne peut s’apparaître à soi-même que comme néantisation d’en-soi, c’est-à-dire comme étant déjà née.

Jean-Paul Sartre, « Ontologie de la temporalité », L’être et le néant, Gallimard, p. 178.

David Farreny, 20 oct. 2008
vie

Et on en resterait là. Du moins entreprendrais-je comme promis la rédaction de mon livre de souvenirs et de confidences. Saviez-vous par exemple que je me mouche toujours une dernière fois dans le mouchoir que je mets au sale, afin de garder propre plus longtemps le nouveau que j’empoche, afin d’économiser sa blancheur en quelque sorte ? C’est moi. C’est ainsi que je mords à belles dents dans la vie.

Éric Chevillard, Du hérisson, Minuit, p. 33.

David Farreny, 18 mai 2009
protocole

Il y a une utopie, qui consiste à imaginer le dialogue comme la pure rencontre de deux bonnes volontés ; cette utopie est libérale, c’est-à-dire transactionnelle : on y considère la parole comme une marchandise susceptible d’accroissement, de diminution, ou même de destruction, offerte au contrat et à la compétition. Il y a une mauvaise foi du dialogue, qui consiste à sublimer sous les espèces d’une attitude « ouverte », la secrète et inflexible volonté de rester soi pendant que l’autre concède et se défait. Il y a une réalité du dialogue, qui en fait seulement le protocole d’une certaine solitude.

Roland Barthes, « Trois fragments », Œuvres complètes (2), Seuil, pp. 559-560.

David Farreny, 1er oct. 2009
avant

Il reste tant de choses à faire avant d’anticiper.

Antoine Émaz, Lichen, encore, Rehauts, p. 58.

Cécile Carret, 4 mars 2010
écoulement

La rumeur d’une cataracte enfla brusquement, puis le vacarme hésita et reflua. Il pleuvait en bordure de l’espace noir. Comme l’écoulement du temps n’avait pas encore débuté, l’ondée prit fin dans l’incertitude et, après des chutes de gouttes isolées, le silence se rétablit.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 208.

Cécile Carret, 3 oct. 2010
envol

C’était comme si je n’avais plus besoin de respirer moi-même tant l’intérieur de moi était vivifié, jusqu’aux narines, par l’air de cette course ; la jubilation que les autres extériorisaient par des cris, mais que, moi, je gardais au fond de moi-même en silence, je l’entendais, exprimée non par ma propre voix, mais par les choses du monde extérieur, résonner dans le battement des roues, la cadence des rails, le claquement des aiguillages, les signaux qui ouvraient la voie, les barrières qui la protégeaient, le crépitement de toute la machinerie ferroviaire emportée dans son envol tonitruant.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 37.

Cécile Carret, 3 août 2013
artistes

Dans la rue on ne verra bientôt plus que des artistes et l’on aura toutes les peines du monde à y découvrir un homme.

Arthur Cravan.

David Farreny, 15 oct. 2013

mot(s) :

auteur :

rechercher 🔍fermer