L’araignée royale détruit son entourage, par digestion. Et quelle digestion se préoccupe de l’histoire et des relations personnelles du digéré ? Quelle digestion prétend garder tout ça sur des tablettes ?
Henri Michaux, « La vie de l’araignée royale », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 445.
Ayant rencontré chez les Grodzicki le jeune peintre Eichler, je lui ai déclaré : Je ne crois pas à la peinture. (Aux musiciens, je dis : Je ne crois pas à la musique !)
Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 57.
Ce conflit consiste en ceci que la philosophie dévore la poésie. Elle se l’incorpore. Ainsi, tout en l’adorant parfois, comme Heidegger, elle l’annule. Qu’elle le sache ou non est sans pertinence.
Exemple récent, largement diffusé, c’est le moins qu’on puisse dire : Derrida. Il faudrait chercher en quoi ce mode de pensée correspond tellement à l’époque. Je crois qu’il s’inscrit dans le anything goes du pousse-moderne. Favorise, et pseudo-théorise le ludique généralisé. Ce laxisme sent.
Henri Meschonnic, Célébration de la poésie, Verdier, p. 53.
Je commence à trouver suspects bon nombre de nos jeunes.
Emil Cioran, « Les limites de la mobilité intérieure », Solitude et destin, Gallimard, p. 241.
Mais malheur à qui aura un sursaut. Un éblouissement de mal vous atteint alors au plus profond. Un neurone sans doute, un neurone crache sa souffrance électrique, dont on se souviendra.
Oh ! moments ! Que de moments d’alerte dans cette vie…
Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 175.
À quoi servent les journées ?
À être le séjour de notre vie.
Elles viennent, elles nous réveillent
Tant et tant de fois.
Il faudra que du bonheur s’y loge.
Où vivre, sinon dans les journées ?
Philip Larkin, « Journées », Où vivre, sinon ?, La Différence, p. 85.
Le fait qu’il est dans lui-même pour lui-même, l’animal l’expose, et cette exposition est la voix. Mais seul l’être sentant peut exposer le fait qu’il est sentant. L’oiseau dans les airs et d’autres animaux émettent des sons vocaux sous l’effet de la douleur, du besoin, de la faim, de la satiété, du plaisir, de l’allégresse, de l’ardeur du rut : le cheval hennit lorsqu’il va à la bataille ; les insectes bourdonnent ; les chats, quand cela va bien pour eux, ronronnent. Mais le geste théorétique de l’oiseau qui chante est un mode plus élevé de la voix ; et que la chose aille si loin chez l’oiseau constitue déjà une particularité relativement au fait que les animaux en général ont une voix. Car, tandis que les poissons, dans l’eau, sont muets, les oiseaux planent librement dans les airs comme dans leur élément ; détachés de la pesanteur objective de la terre, ils remplissent l’air d’eux-mêmes et extériorisent leur sentiment d’eux-mêmes dans l’élément particulier. Les métaux ont un son, mais pas encore de voix ; la voix est le mécanisme devenu spirituel qui s’exprime ainsi lui-même. L’être inorganique ne montre sa déterminité spécifique que s’il est sollicité, que s’il est battu ; tandis que l’être animal résonne de lui-même.
Georg Wilhelm Friedrich Hegel, « Des manières de considérer la nature (additions) », Encyclopédie des sciences philosophiques, II. Philosophie de la nature, Vrin, p. 640.
Tu peux épingler huit cent sept papillons ; mais pas le vol d’un seul.
Or j’ai deux paupières.
Éric Chevillard, Le désordre azerty, Minuit, p. 73.
Pour freiner l’expansion d’un animal taré, l’urgence de fléaux artificiels qui remplaceraient avantageusement les naturels se fait sentir de plus en plus et séduit, à des degrés divers, tout le monde. La Fin gagne du terrain. On ne peut sortir dans la rue, regarder les gueules, échanger des propos, entendre un grondement quelconque, sans se dire que l’heure est proche, même si elle ne doit sonner que dans un siècle ou dix. Un air de dénouement rehausse le moindre geste, le spectacle le plus banal, l’incident le plus stupide, et il faut être rebelle à l’Inévitable pour ne pas s’en apercevoir.
Emil Cioran, « Écartèlement », Œuvres, Gallimard, p. 923.