endroit

Parler est un endroit étrange.

Renaud Camus, « mardi 10 juin 1980 », Journal d’un voyage en France, Hachette/P.O.L., p. 465.

Élisabeth Mazeron, 17 déc. 2005
obstacle

Ce qu’on était sans y songer se mue en obstacle.

Pierre Bergounioux, Écrire, pourquoi ?, Argol, p. 15.

David Farreny, 2 juil. 2006
erratique

La route, elle aussi, étroite, bleue, brillante de glace, tourne sans rime ni raison là où elle pourrait filer droit et prend par la plus forte pente les tertres qu’elle devrait éviter. Elle n’en fait qu’à sa tête. Le ciel, gouverné par vent d’ouest, vient de faire sa toilette, il est d’un bleu dur. Le froid – moins quinze degrés – tient tout le paysage comme dans un poing fermé. Il faut conduire très lentement ; j’ai tout mon temps.

[…]

Par la fenêtre, je vois un couple de faisans picorer sur la route qui brille de tous ses lacets inutiles. Quand je lui ai demandé la raison de ce tracé erratique, il m’a répondu qu’ici, autrefois, les chemins étaient empierrés par les femmes qui n’aimaient pas que le vent les décoiffe ; quand il tournait, elles en faisaient autant. Cette explication m’a entièrement satisfait.

Nicolas Bouvier, Journal d’Aran et d’autres lieux, Payot & Rivages, p. 11.

Cécile Carret, 4 fév. 2008
évidence

C’est pourquoi personne ne résiste. Happés avec douceur, mais happés irrésistiblement, ils glissent vers la chaude ouverture. L’idée de résistance ne s’offre pas véritablement à eux. Ils se laissent faire, saisis par l’évidence.

Henri Michaux, « La vie dans les plis », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 162.

David Farreny, 4 mars 2008
figurants

Je reste seul, roi de carton de ce peuple aux hanches étroites, drapées serré dans leur sarong, qui parcourt mes rues à petits pas comptés, d’énormes fruits cuirassés en équilibre sur la tête. Anciens figurants ? machinistes ? La grève doit durer depuis si longtemps qu’on en a perdu la mémoire. Mon balcon s’égoutte ; je rêve. C’est juste un peu d’Europe et de jeunesse qui passent.

Ne compter en tout cas plus sur moi pour vous fournir un scénario. Tout ce qu’on introduit dans ce décor s’y dégrade à une allure alarmante. Une fermentation continuelle décompose les formes pour en fabriquer d’autres encore plus fugaces et compliquées, et les idées connaissent forcément le même sort. Comment tenir son cap à travers ces métamorphoses ?

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 99.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
retrouver

Peut-être faut-il se sentir pauvre pour retrouver cette âme en soi, celle qui n’aime pas le vide.

Dominique de Roux, « lettre à Robert Vallery-Radot (22 novembre 1969) », Il faut partir, Fayard, p. 247.

David Farreny, 21 août 2008
certaine

Tous les jours il faudrait évoquer — par écrit, peut-être —, afin d’oublier aussi peu que possible, afin d’habiter la terre avec toute l’acuité dont nous sommes capable, afin d’adhérer autant que faire se peut à notre histoire et bien sûr à notre géographie, un lieu du monde, pas nécessairement d’une beauté particulière, mais qui, pour une raison ou pour une autre, et souvent sans raison que nous soyons à même de démêler, s’obstine en nous, revient dans nos rêves, hante nos demi-sommeils et nos songeries involontaires. Qu’il soit aujourd’hui certaine ferme haute, entre Hermitage Castle et le hameau de Burnfoot, près de Tudhope Hill, à l’est de la route qui mène de Langholm à Hawick, dans les Cheviots, aux confins de l’ancien Roxburghshire et du Dumfriesshire (aujourd’hui des Borders et du comté de Dumfries & Galloway).

Renaud Camus, « samedi 6 août 2005 », Le royaume de Sobrarbe. Journal 2005, Fayard, p. 414.

David Farreny, 20 janv. 2009
capable

Le bonheur, c’est le style. Ou bien « le style c’est le bonheur », je ne sais plus, peu importe. De toute façon, il ne s’agit jamais que de to coin a phrase, la frapper. Je ne prétends pas qu’elle soit tout à fait vraie, mais souhaiterais seulement qu’elle solennisât un peu, au prix d’un léger abus de sens ou d’une visible approximation, toujours nécessaire à l’affûtage de formules, une vérité sans doute imparfaite, mais agissante, vérifiable : que le style, s’il n’est pas absolument suffisant à assurer le bonheur, y contribue puissamment, toutefois, ou, pour dire encore moins, qu’il atténue les coups du malheur en les transmuant en tragédie, dans l’acception pleinement cathartique du terme ; que de la mélancolie il sait faire de la poésie, et tirer du plaisir, avec de la joie, tout un art. Distance, rime, imperceptible recul, accentuation, mise en forme, en place, en abyme, en lumière, ironie détachée mais critique à l’égard des oripeaux du prétendu « naturel », il est seul capable de faire des heures une journée, de la nourriture un repas, d’une discussion un échange, d’un cliché une photographie, d’un geste un souvenir, du temps qui passe un peu de temps qui reste.

Renaud Camus, « samedi 24 octobre 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., pp. 392-393.

David Farreny, 16 nov. 2010
échelle

Même à l’échelle d’une vie, on tombe de haut.

Éric Chevillard, « jeudi 12 mars 2020 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 17 mars 2024

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