Aller jusqu’au fond du gouffre de l’absence d’amour. Cultiver la haine de soi. Haine de soi, mépris des autres. Haine des autres, mépris de soi. Tout mélanger. Faire la synthèse. Dans le tumulte de la vie, être toujours perdant. L’univers comme une discothèque. Accumuler des frustrations en grand nombre. Apprendre à devenir poète, c’est désapprendre à vivre.
Michel Houellebecq, Rester vivant, La Différence, p. 14.
Passez nuages
pauvres heures
grosses nuées porteuses
de crépitantes
gifles froides
défilez
indigentes journées
années lugubres
périclitez
projets infimes
sombrez
passions naines
étiolez-vous
désirs
et surtout ne revenez
jamais
Jean-Pierre Georges, Passez nuages, Multiples, p. 8.
Le vent qui s’est établi au nord-est éclaire et obscurcit, alternativement, le ciel, ce qui oblige à modifier en conséquence l’état intérieur et trouble inutilement son repos.
Pierre Bergounioux, « lundi 28 août 1995 », Carnet de notes (1991-2000), Verdier, p. 607.
Le répit n’est jamais qu’un instant de la trépidation.
Éric Chevillard, Commentaire autorisé sur l’état de squelette, Fata Morgana, p. 70.
Pour avoir un peu lapidé les gendarmes, trois dames pieuses d’Hérissart sont mises à l’amende par les juges de Doullens. (Dép. part.)
Le sombre rôdeur aperçu par le mécanicien Gicquel près de la gare d’Herblay, est retrouvé : Jules Ménard, ramasseur d’escargots.
Au Mans, le soldat Hervé Aurèle, du 117e, a frénétiquement rossé passants et agents. On l’a capturé à grand’peine. (Dép. part.)
Le chanteur Luigi Ognibene a blessé de deux balles, à Caen, Madelon Deveaux, qui ne voulait pas laisser monopoliser sa beauté. (Dép. part.)
Dans le lac d’Annecy, trois jeunes gens nageaient. L’un, Janinetti, disparut. Plongeons des autres. Ils le ramenèrent, mais mort. (Dép. part.)
Des trains ont tué Cosson, à l’Étang-la-Ville ; Gaudon, près de Coulommiers, et l’employé des hypothèques Molle, à Compiègne.
Une dame de Nogent-sur-Seine disparut (1905) en pyrénéant. On la retrouve, dans un ravin, près Luchon, bague au doigt. (Dép. part.)
Ribas marchait à reculons devant le rouleau qui cylindrait une route du Gard. Le rouleau pressa le pied et écrasa l’homme. (Havas.)
Trente-cinq canonniers brestois, qui sous empire de funestes charcuteries, fluaient de toutes parts, ont été drogués hier. (Dép. part.)
Une fois assommé, Bonnafoux, de Jonquières (Vaucluse), a été posé sur un rail, où un train l’écrasa. (Dép. part.)
Pour un parquet belge, on arrête à Vagney (Vosges) Félicie De Doncker, qui excella à mater la fécondité des Brabançonnes. (Dép. part.)
Un bœuf furieux traînait par la longe vers Poissy le cow-boy Bouyoux. Elle cassa. Alors ce bœuf démonta le cycliste Gervet.
Mme S…, de Jaulnay (Vienne), accuse son père de lui avoir détérioré ses trois filles. Le vieillard s’indigne. (Havas.)
Rue Myrrha, le fumiste Guinet tirait au petit bonheur des balles sur les passants. Un inconnu lui planta un stylet dans le dos.
Près de Villebon, Fromond, qui disait à d’autres pauvres sa détresse, s’engouffra soudain dans un four à plâtre en combustion.
Félix Fénéon, Nouvelles en trois lignes (2), Mercure de France, pp. 16-87.
Car les jeunes en question sont moins opprimés ou méprisés que séduits par un système expansif de production et de consommation qui ne leur parle qu’immédiateté, qui leur fait miroiter tout, tout de suite, et qui les pousse ainsi à délaisser les vieilles promesses exigeantes de l’intégration et de l’émancipation pour la promesse technique, fraîche et excitante de disposer du monde d’un claquement de doigts ou comme disait Fellini, « d’avoir le maximum de choses, en excluant l’attention personnelle, la participation personnelle ». Et ce qui entretient en eux la rage, c’est le sentiment d’être lésés dans leurs droits chaque fois que leur désir rencontre une impossibilité, une difficulté ou une limite. À les gratifier, quoi qu’ils fassent, d’une compréhension infinie, on collabore à la transformation des droits de l’homme en droits de l’homme de l’enfant gâté, c’est-à-dire à la décivilisation du monde.
Alain Finkielkraut, « Réponse à Stefan Zweig », L’imparfait du présent, Gallimard, pp. 245-246.
Il n’y a pas de défaut dans la cuirasse des heureux du monde postsoixante-huitard. Ils ont le stéréotype sulfureux, le cliché rebelle, la doxa dérangeante et bien meilleure conscience encore que les notables du musée de Bouville décrits par Sartre dans La nausée. Car ils occupent toutes les places : celle, avantageuse, du Maître et celle, prestigieuse, du Maudit. Ils vivent comme un défi héroïque à l’ordre des choses leur adhésion empressée à la norme du jour. Le dogme, c’est eux ; le blasphème aussi. Et pour faire acte de marginalité, ils insultent en hurlant leurs très rares adversaires. Bref, ils conjuguent sans vergogne l’euphorie du pouvoir avec l’ivresse de la subversion. Salauds.
Alain Finkielkraut, « Les conformistes rugissants », L’imparfait du présent, Gallimard, p. 102.
À quoi servent les journées ?
À être le séjour de notre vie.
Elles viennent, elles nous réveillent
Tant et tant de fois.
Il faudra que du bonheur s’y loge.
Où vivre, sinon dans les journées ?
Philip Larkin, « Journées », Où vivre, sinon ?, La Différence, p. 85.
Au seuil d’une belle journée et ainsi jusqu’au soir sans même la voir décliner, demeurant sur son seuil infranchissable. Constatation familière.
Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 179.