boire

Après les circonstances que je viens de rappeler, ce qui a sans nul doute marqué ma vie entière, ce fut l’habitude de boire, acquise vite. Les vins, les alcools et les bières ; les moments où certains d’entre eux s’imposaient et les moments où ils revenaient, ont tracé le cours principal et les méandres des journées, des semaines, des années. Deux ou trois autres passions, que je dirai, ont tenu à peu près continuellement une grande place dans ma vie. Mais celle-là a été la plus constante et la plus présente. Dans le petit nombre des choses qui m’ont plu, et que j’ai su bien faire, ce qu’assurément j’ai su faire le mieux, c’est boire. Quoiqu’ayant beaucoup lu, j’ai bu davantage. J’ai écrit beaucoup moins que la plupart des gens qui écrivent ; mais j’ai bu beaucoup plus que la plupart des gens qui boivent.

Guy Debord, Panégyrique, Gallimard, p. 41.

Guillaume Colnot, 18 juil. 2002
paucité

Un jour, peut-être, nous aussi, quand le béotisme aura vaincu, eh bien ! nous serons moines, s’il le faut ; nous protesterons par notre paucité.

Ernest Renan, Voyage en Italie, Arléa, p. 52.

David Farreny, 25 déc. 2004
remblais

Communiquer ? Toi aussi tu voudrais communiquer ?

Communiquer quoi ? Tes remblais ? — la même erreur toujours. Vos remblais les uns les autres ?

Henri Michaux, « Poteaux d’angle », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1065.

David Farreny, 7 août 2006
dilemme

Dilemme : le fusil ou le travail.

Jean-Pierre Georges, Le moi chronique, Les Carnets du Dessert de Lune, p. 24.

David Farreny, 19 nov. 2006
bidule

L’excès de sérieux de ce bidule, sa constance, son obstination cessa soudain de les intimider. S’ensuivit une phase de familiarisation durant laquelle ils lui firent prendre des formes. Docile, elle couvrit l’abat-jour, pendouilla à l’espagnolette, aux patères, s’enroula dans la plante verte, occupant chaque fois la place avec un confort immédiat, puis s’affalant, k. Ils se l’envoyèrent d’un bout de la pièce à l’autre, tentant d’un coup de poignet rétro de la faire revenir, façon boomerang, qu’elle refusa d’ailleurs d’imiter, et, incapable de virer, elle alla s’écraser contre le mur sans rebondir, glissa pour s’avachir au sol et s’aplatir aussitôt, comme une crêpe butée, une crêpe qui aurait désiré rester crêpe contre vents et marées, k.

Alain Sevestre, Les tristes, Gallimard, p. 112.

Cécile Carret, 10 déc. 2009
reflet

Quand on sait voir, on trouve réellement que tous les accusés sont beaux. C’est évidemment, si j’ose dire, un phénomène d’histoire naturelle assez curieux. Naturellement, l’accusation ne provoque pas une modification tangible dans l’extérieur de l’accusé ; il n’en va pas, dans ces cas-là, comme dans les autres affaires de justice ; la plupart de nos clients conservent leur façon de vivre ordinaire, et, s’ils ont un bon avocat qui sache bien s’occuper d’eux, le procès ne les gêne pas beaucoup. Pourtant, quand on a bien l’expérience de la chose, on reconnaîtrait un accusé entre mille personnes. À quoi ? me demanderez-vous ; ma réponse ne vous satisfera pas ; c’est à ce que les accusés sont précisément les plus beaux. Ce ne peut être la faute qui les embellit, puisque tous ne sont pas coupables — c’est du moins ce que je dois dire en qualité d’avocat —, ce ne peut être non plus la condamnation qui les auréole d’avance, puisque tous ne sont pas destinés à être condamnés ; cela ne peut donc tenir qu’à la procédure qu’on a engagée contre eux et dont ils portent en quelque sorte le reflet.

Franz Kafka, « Le procès », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 427.

David Farreny, 21 avr. 2011
tout

Autun. L’électricien aux yeux noyés, une vieille belette. Les enfants le houspillent.

« Comment qu’ça va, missieur J. ?

– Tout doux, tout doux, du Giraudoux. »

À minuit la salle se vide dans un tonnerre, trop d’images dans la tête. On se retrouve tout seul avec 500 mètres à rembobiner.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 59.

Cécile Carret, 18 juin 2012
déclencher

Moments d’extase jadis à l’écoute d’une pièce pour orgue qui avait donné lieu à tout un développement lyrique. Monsieur Songe est triste de ne plus ressentir l’extase en écoutant la même musique. Il décide de faire marche arrière vers ses trente ans. Certaine difficulté à franchir les années qui sont comme des pierres amoncelées dans des ruines. Mais à force de se pousser, de se pousser, il y arrive. Il est prêt à s’ouvrir à l’émotion, il éprouve une perméabilité supérieure. Mais voilà qu’il ne se souvient plus comment déclencher le mécanisme du tourne-disque qui n’était pas le même alors. Sa tristesse est décuplée et vite il revient à aujourd’hui où la souffrance est moindre, comme le plaisir. Il ne dit pas hélas, il est résigné. Pour sa récompense le tourne-disque se remet en marche tout seul et monsieur Songe fond en larmes.

Robert Pinget, Monsieur Songe, Minuit, p. 72.

Cécile Carret, 8 déc. 2013
cuirasse

Ce qui frappe d’abord dans le paysage de Suède et de Norvège : le roc, la cuirasse géologique de la presqu’île, le bouclier scandinave (on ne saurait mieux dire) partout présent. Non pas le rocher : le roc ; tout ce qui pouvait s’arracher, s’extraire, s’araser, la glace l’a arraché, extrait, arasé du squelette gratté, brossé, récuré jusqu’à l’os. Il ne reste que le noyau profond mis au jour, la roche-mère intacte, inaltérée. La forêt — claire, sans belle venue — pousse sur des coupoles et des plaques de blindage qui partout apparaissent à nu ; dans les îles de Stockholm, où un léger filigrane de neige soulignait encore en avril les jointures cyclopéennes des quartiers de roc, les maisons semblent surplomber le lac du haut d’un bordé de dreadnought. Épaulement rabotés, dos de baleine, écailles de tortue, ce sont les formes que le granit ici répète à satiété : pas de sol, pas même une pellicule de terre de bruyère : on dirait que toute la Scandinavie, ses ballasts expurgés par la fonte des glaciers énormes, émerge de la mer comme l’échine d’un sous-marin étanche et boulonné. Nulle trace de remblai, nul colmatage ; le long de la rive basse du golfe de Bothnie, le dallage bossu plonge sous la mer comme le pavé d’un gué ; même les petits lacs se ceignent d’un anneau de granit nu ou de porphyre, comme la flaque d’un bénitier.

Julien Gracq, Lettrines (II), José Corti, pp. 231-232.

David Farreny, 20 oct. 2014
singularité

La règle d’or : si le petit rien que tu possèdes n’a, en lui-même, rien de particulier, au moins dis-le avec un zeste de singularité.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 264.

David Farreny, 13 janv. 2015

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