Kadnir

Je passai quatre mois à Kadnir. À peine si j’en garde un souvenir précis, seule l’impression que vraiment j’y étais bien, que c’était là mon bonheur. Sans haut, ni bas, le bonheur.

C’était à Kadnir.

Henri Michaux, « Voyage en Grande Garabagne », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 36.

David Farreny, 14 avr. 2002
Occident

Mais — la rareté du ciel lorsqu’il blanchit, les rues identiques les unes aux autres, le dimanche soir en Occident…

François Rosset, Froideur, Michalon, p. 163.

David Farreny, 15 nov. 2002
partie

Personne ne se remet d’avoir été un jour récusé par sa mère ; encore moins quand devenue mère on récuse à son tour son fils en fictionnant dans l’enfer de son inconscient que la partie jouée par un autre permettra de ne plus jouer la sienne. Ce serait si simple… Ni le mari, ni les enfants, ni la famille n’offrent ce que seul permet un recentrage de soi par le sujet blessé. Comment pour ma mère exister sereinement avec en elle une plaie de laquelle un sang coule depuis le portail de l’église ? Pour guérir, il faut d’abord un diagnostic auquel consentir.

Michel Onfray, La puissance d’exister, Grasset, p. 17.

Élisabeth Mazeron, 15 janv. 2007
simple

La psychologie des personnages, elle aussi, semble abonder en contradictions, comme chez Proust : de même que dans la Recherche, les appréciations morales sur tel ou tel sont suivies d’exemples qui les contredisent, une même série d’adjectifs peut en receler plusieurs qui semblent tout à fait antagonistes ; mais il n’est pas exclu qu’il s’agisse là d’un simple souci d’exactitude.

Renaud Camus, « lundi 7 juin 1976 », Journal de « Travers » (1), Fayard, p. 499.

David Farreny, 28 sept. 2007
en-face

Les résistances qui s’opposaient à mon cheminement dans la vie portaient des noms de personnes. Je me heurtais à des visages, à des corps — à des voix, surtout, dispensatrices d’ordres, de conseils, de menaces et accablantes d’un savoir qui n’était pas le mien et fertiles en jugements péremptoires contre lesquels je n’avais que ma solitude comme puissance de désaveu. Mais tout cela, au jour le jour, dans la continuité tendue d’un temps que je m’efforçais de dominer, constituait un en-face par rapport auquel je me situais, fût-ce même par ailleurs pour louvoyer et composer à travers de misérables entreprises quotidiennes de séduction (cherchant constamment à plaire pour me concilier les puissances du jour). En cela, mon adhésion à la vie ne différait pas de ce qui se passe chez n’importe quel jeune homme passé, présent et à venir.

Claude Louis-Combet, Blanc, Fata Morgana, p. 45.

Élisabeth Mazeron, 13 mars 2010
conjonction

Au début, j’eus du mal à croire que Sophie Gironde était de nouveau à mon côté, et que pour la rejoindre il n’y avait pas besoin d’attendre une conjonction de rêves particulière ou de voyager trois mille ans à travers les lentes laideurs obscures de l’enfer. Parcourir quelques mètres suffisait pour que je m’approche d’elle, étendre la main suffisait pour la toucher. Voilà ce qui m’étonnait. J’allongeais la main vers elle, j’ouvrais le bras comme pour l’inviter à danser, et aussitôt je retrouvais, dans leur banalité merveilleuse, les gestes de la rencontre amoureuse, ces gestes rabâchés mais qui toujours, quand aucun partenaire ne ment, offrent des vertiges inépuisables. Sans avoir à languir le temps d’une vie, simplement une seconde après l’avoir désiré, je pouvais maintenant caresser son épaule, la naissance de son dos, puis l’attirer enfin contre moi, avec une douceur dont on n’ose rêver que dans les rêves, contre ma bouche et mon corps que le long abîme de l’absence avaient rendus incrédules.

Antoine Volodine, Des anges mineurs, Seuil, p. 88.

Cécile Carret, 10 sept. 2010
parfaitement

Je fais une balade dans la ville. Les maisons sont rouges et blanches et grises avec de beaux heurtoirs aux portes, les rues pavées larges et désertes montent et descendent, tournent très raide, il y a pleine lune dans un ciel sans nuages et les échos sont parfaitement au point ; c’est encore bien plus féérique qu’on ne peut l’imaginer. Le port est gardé par un chat noir et blanc très gentil qui s’étire sous le clair de lune. Les bateaux ont des noms charmants qu’on ne comprend pas. On ne s’étonnerait pas de trouver par terre quelque chose comme un jouet neuf ou un violon. Je me sens tout à fait chez moi. Au retour le chat m’accompagne jusqu’à la porte, me fait une espèce de signe et retourne vers les bateaux.

Je n’ai jamais vu tant de choses s’arranger aussi bien à la fois.

Nicolas Bouvier, Il faudra repartir. Voyages inédits, Payot & Rivages, p. 48.

Cécile Carret, 18 juin 2012
enfançons

Les parents de Lucie avaient craint le pire, étaient accourus de leur fief de province très cossue, avaient délibéré au chevet de l’enfant merveilleuse, seule fille inventée à la coda d’un quintette de fils très aînés, tous établis plus que bourgeoisement et nantis de mirifiques professions, d’épouses divines, d’enfançons idéaux, fils chargés, bourrés à craquer comme navires fabuleux de maintes promesses d’avenir.

Marie-Hélène Lafon, Les pays, Buchet-Chastel, p. 55.

David Farreny, 30 août 2013
relire

« Je ne lis plus. Je relis. » Cela peut paraître pédant. Mais ça ne l’est pas. Arrivé à un certain âge, nous — du moins en ce qui me concerne — réalisons que nous ne gardons aucun souvenir de ce qu’à une époque nous avons lu. Nous sommes alors saisis d’effroi et nous nous mettons à relire.

Iñaki Uriarte, Bâiller devant Dieu, Séguier, p. 240.

David Farreny, 28 fév. 2024
grotesque

Répugnant à se définir et à accepter des limites, cultivant l’équivoque en politique et en morale, et, ce qui est plus grave, en géographie, sans aucune des naïvetés inhérentes aux « civilisés » rendus opaques au réel par les excès d’une tradition rationaliste, le Russe, subtil par intuition autant que par l’expérience séculaire de la dissimulation, est peut-être un enfant historiquement, mais en aucun cas psychologiquement ; d’où sa complexité d’homme aux jeunes instincts et aux vieux secrets, d’où également les contradictions, poussées jusqu’au grotesque, de ses attitudes. Quand il se mêle d’être profond (et il y arrive sans effort), il défigure le moindre fait, la moindre idée. On dirait qu’il a la manie de la grimace monumentale. Tout est vertigineux, affreux, et insaisissable dans l’histoire de ses idées, révolutionnaires ou autres. Il est encore un incorrigible amateur d’utopies ; or, l’utopie, c’est le grotesque en rose, le besoin d’associer le bonheur, donc l’invraisemblable, au devenir, et de pousser une vision optimiste, aérienne, jusqu’au point où elle rejoint son point de départ : le cynisme, qu’elle voulait combattre. En somme, une féerie monstrueuse.

Emil Cioran, « Histoire et utopie », Œuvres, Gallimard, pp. 453-454.

David Farreny, 17 mars 2024
abstraite

Aucune brise, et le mystère semble plus vaste. J’ai des nausées de pensée abstraite.

Fernando Pessoa, « 140 », Le livre de l’intranquillité (1), Christian Bourgois.

David Farreny, 10 mai 2024

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