intérêt

Un de ces endroits qui, aperçus sur la carte d’un atlas, suscitent notre intérêt… pourquoi ? parce que totalement dépourvus d’intérêt… Non, bien sûr, personne n’y va jamais, qu’est-ce que ça peut bien être, Goya ? Notre doigt retombe sur un vocable de ce genre — hameau en Islande, bourgade d’Argentine — et l’envie d’y partir nous envahit…

Witold Gombrowicz, Journal (1), Gallimard, p. 438.

David Farreny, 22 mars 2002
intérieur

Toute relation, tout commerce, crée un tiers, un lieu, dans l’espace clos duquel s’établissent, s’organisent, se jouent, les rapports. Deux hommes qui parlent ne devraient pas se regarder, mais obliquement, observer le point de jonction que leurs propos, leurs échanges, leur silence, provoquent. En amour, le lieu est à l’intérieur. Les deux corps pensants recherchent l’union dans un rapprochement, une pénétration l’un dans l’autre, de plus en plus aigus. La femme s’offre pour que l’homme trouve. Le phallus est comme une pioche, une vrille, un chercheur qui doit, devrait trouver son point de saturation. Le « trou » féminin donne d’ailleurs l’impression d’être travaillé en spirale, comme une vis, et en fait, l’homme ne devrait pouvoir pénétrer qu’en tournant sur lui-même, comme les suppliciés de la roue.

Georges Perros, Papiers collés (1), Gallimard, p. 139.

David Farreny, 22 mars 2002
constellation

Tu lisais des dictionnaires comme d’autres lisent des romans. Chaque entrée est un personnage, disais-tu, que l’on peut retrouver dans une autre rubrique. Les actions, multiples, se construisent au fil de la lecture aléatoire. Selon l’ordre, l’histoire change. Un dictionnaire ressemble plus au monde qu’un roman, car le monde n’est pas une suite cohérente d’actions, mais une constellation de choses perçues. On le regarde, des objets sans rapport s’assemblent, et la proximité géographique leur donne un sens. Si les événements se suivent, on croit que c’est une histoire. Mais dans un dictionnaire, le temps n’existe pas : ABC n’est ni plus ni moins chronologique que BCA. Décrire ta vie dans l’ordre serait absurde : je me souviens de toi au hasard. Mon cerveau te ressuscite par détails aléatoires, comme on pioche des billes dans un sac.

Édouard Levé, Suicide, P.O.L., p. 39.

Cécile Carret, 22 mars 2008
vaurien

De tous mes pensionnaires, le cancrelat est le plus inoffensif et le plus irritant. Le cancrelat est un vaurien. Il n’a aucune tenue dans ce monde ni dans l’autre. Plutôt qu’une créature c’est un brouillon. Depuis le pliocène il n’a rien fait pour s’améliorer. Ne parlons pas de sa couleur de tabac chiqué pour laquelle la nature ne s’était vraiment pas mise en frais. Mais ces évolutions erratiques, sans aucun projet décelable ! ce port de casque subalterne et furtif, cette couardise au moment du trépas !

Nicolas Bouvier, Le poisson-scorpion, Payot, p. 103.

Élisabeth Mazeron, 23 avr. 2008
tombe

Si j’ose dire, ma propre vie me tombe des mains.

François Nourissier, Le musée de l’homme, Grasset, p. 215.

David Farreny, 26 avr. 2009
signifiaient

Et même cette expérience prenait corps ; un jour de rien (où ne jouaient pas même les lumières changeantes, pas même le vent, ni le temps) c’était lui qui promettait la plénitude la plus grande. Il n’y avait rien et rien encore et toujours rien. Et ce rien et ce rien que faisaient-ils ? Ils signifiaient. Il y avait plus de choses possibles avec rien d’autre que la journée, bien, bien plus pour moi, comme pour toi.

Peter Handke, « Essai sur la journée réussie », Essai sur la fatigue. Essai sur le juke-box. Essai sur la journée réussie, Gallimard, pp. 175-176.

David Farreny, 31 oct. 2009
pense

Et les “lecteurs” – ahmondieu. Les “lecteurs” sont ceux qui disent toute leur vie “parapluie” pour une chose à la vue de laquelle un écrivain pense “une canne en jupon” !

Arno Schmidt, « Parasélène & Yeux roses », Histoires, Tristram, p. 158.

Cécile Carret, 2 déc. 2009
question

J’étais assez peu décidé à retourner à Arles, et, quant à Marseille, je me trouvais face à la délicate question de m’y rendre pour acheter des chaussures avant, en quelque sorte, d’y être arrivé de manière naturelle, ou instinctive, ou encore globale, ou absolue, à savoir de ne pas y être arrivé fondamentalement tout en m’y trouvant de façon anecdotique. Inversement, j’avais besoin de mocassins maintenant, et non quand j’arriverais de façon naturelle à Marseille, de sorte que, tandis que je recherchais l’endroit où je m’étais garé, je m’exerçais à exclure mentalement, en dehors d’Arles, soit les mocassins, soit Marseille, aucune de ces solutions ne me paraissant satisfaisante.

Christian Oster, Rouler, L’Olivier, p. 132.

Cécile Carret, 30 sept. 2011
saisir

Nous aimions aussi créer des images, que nous nommions des modèles. C’étaient trois ou quatre phrases écrites sur un feuillet en un mètre bref. Il s’agissait de saisir en chacune d’elles un fragment de la mosaïque du monde, tout comme on sertit des pierres en un métal. Pour ces modèles aussi nous étions partis des plantes et nous revenions sans cesse à elles. C’est ainsi que nous décrivions les choses et leurs métamorphoses, du grain de sable à la falaise de marbre, et de la fugace seconde à la vaste année. Le soir venu, nous réunissions ces feuillets, et quand nous les avions lus, nous les brûlions dans la cheminée.

Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Gallimard, p. 32.

Cécile Carret, 27 août 2013
applaudit

On applaudit quand ça s’arrête.

Éric Chevillard, « dimanche 8 novembre 2015 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 28 fév. 2016
durer

L’enfant est une inhibition active. Il empêche le réveil complet, c’est-à-dire la mort de l’espèce. Les théologiens n’osent pas le dire, mais ils voudraient ce réveil total, entraînant le Jugement logique. L’enfant fait durer. Il n’y a pas plus antithéologique que l’enfant. Il est là aussi pour cacher qu’il n’y a pas eu de rapport sexuel. Tout cela est très clair : si je suis avec une femme et que je n’ai pas eu d’enfants, c’est qu’il y a ou qu’il y a eu rapport sexuel. Si j’ai avec elle des enfants, on peut en douter. On peut se dire en tout cas qu’à un certain moment elle a estimé que ça suffisait comme ça. Elle a déclenché le processus de séparation par l’enfant. L’enfant est le divorce in vivo des parents.

Philippe Muray, « 10 avril 1986 », Ultima necat (II), Les Belles Lettres, p. 46.

David Farreny, 28 fév. 2016
encore

Elle est si bien retombée en enfance, la pauvre vieille, qu’elle ne se souvient encore de rien.

Éric Chevillard, « samedi 7 janvier 2023 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 24 fév. 2024

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