bataille

La veille de la bataille, tandis que Napoléon, de son côté, grignotait une poitrine de mouton arrosée d’un demi-verre de Chambertin, je constatai quant à moi que le distributeur automatique de plats chauds installé dans le hall de l’hôtel Formule 1 était en panne, et que pour obtenir le cassoulet sur lequel j’avais jeté mon dévolu, il me faudrait ressortir et marcher jusqu’à la réception de l’hôtel Etap, laquelle disposait en principe d’un appareil du même type. En fin de compte, je ne dînai pas (même si je savais, par la littérature, que c’est à sa capacité de se restaurer normalement, à la veille d’une bataille ou de son exécution capitale, qu’on reconnaît l’homme de caractère).

Jean Rolin, La clôture, P.O.L., p. 105.

Guillaume Colnot, 14 avr. 2002
rien

Rester debout n’était plus, pour elle, de ces choses qu’on peut faire sans y songer et dont l’importance ne se révèle qu’à l’instant où elles nous sont irrémédiablement ravies. Le fond, de proche en proche, lorsqu’il est venu, n’est peut-être pas aussi terrible puisqu’on a dépouillé la station debout, la faculté d’aller, celle de comprendre si tant est qu’on ait jamais compris ou qu’il y ait à comprendre. Il reste si peu de choses que tout ce qu’on est encore susceptible de concevoir et de vouloir, c’est de devenir véritablement rien.

Pierre Bergounioux, La maison rose, Gallimard, p. 88.

Élisabeth Mazeron, 15 sept. 2004
distraction

Si l’on essaie un jour de décrire l’économie générale des tabous de notre temps, il ne faudra pas manquer de mettre en contradiction la pudique indignation de notre société devant les spectacles relevant de l’érotisme par exemple, et son indulgence pour la représentation de tout ce qui dégrade les hommes. C’est sans doute qu’elle y a son intérêt et qu’il lui est nécessaire pour se maintenir de donner à ses aliénations réelles le masque rassurant d’ « une saine distraction ».

Roland Barthes, « Le Grand Robert », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 523.

David Farreny, 17 nov. 2004
principe

Le poing de fer qui les a martelés a comme parachevé leur principe fossile, leur essence chtonienne. Écornés, rongés, feuilletés, sous le pilon, à l’instar de bancs sédimentaires, leur carcasse grise, herbue, a fini par se confondre avec l’écorce terrestre. N’étaient les couleurs piquées dessus, les écriteaux de tôle et l’esplanade ménagée à proximité, rien ne les distinguerait des reliefs entassés, entre Argonne et Woëvre, sur l’antique route des invasions. Quand on gagne la superstructure, on a besoin de se rappeler, de se dire qu’on a leurs deux étages, et les soutes, sous les pieds, qu’on en foule le toit, et non une quelconque portion de la surface du globe. Les inégalités sont telles qu’elles excluent l’idée d’ouvrage, de toit, d’art et de mesure, de fragilité qui signent la main de l’homme. Il n’y a que la vieille terre pour souffrir pareilles lésions et n’être pas percée, détruite, pulvérisée. Les projectiles de 400 — deux mètres de long et huit cents kilos — qui ont traversé, n’ont pas enlevé de grands pans de muraille, à peine dérangé les profondeurs obscures, compartimentées, de termitière. Le seul effet, indirect, de ces colossales atteintes, c’est l’inflexion, peu perceptible, qu’on observe dans la galerie où un dépôt de munitions, enflammé par un coup perforant, explosa. La paroi du fort a reculé d’une trentaine de centimètres et tout un bataillon — six cent soixante-dix hommes — fut foudroyé, dont on mura les restes dans une casemate.

Pierre Bergounioux, Le bois du Chapitre, Théodore Balmoral, pp. 50-52.

David Farreny, 21 oct. 2005
règne

Voilà en quoi me semble tenir la différence entre ce siècle et les autres ; autrefois, comme de nos jours, la grandeur était fort rare ; mais alors, c’était la médiocrité qui régnait, tandis qu’aujourd’hui, c’est partout le règne de la nullité.

Giacomo Leopardi, « Dialogue de Tristan et d’un ami », Petites œuvres morales, Allia, p. 239.

David Farreny, 9 nov. 2005
âcre

Ciel couvert, vent glacial. Je dépêche des paquets de copies et descends peindre, sans résultat appréciable.

Curieux de voir un peu où je vais, j’ouvre le carton dans lequel j’avais serré les barbouillages de l’an passé, ceux, plus précisément, où j’avais cru deviner « quelque chose ». L’âcre déconvenue ! C’est insipide, sans la moindre suggestion ! Comment peut-on se méprendre ainsi ?

Pierre Bergounioux, « dimanche 3 mai 1981 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 45.

David Farreny, 11 mars 2006
mais

De l’utilisation du mais. Ennio Flaiano rencontre dans la rue, un jour de 1946, le peintre Mino Maccari, sombre et attristé, qui lui confie : Ho pocho idee, ma confuse — “j’ai peu d’idées, mais confuses”.

Gérard Pesson, « mardi 4 octobre 1994 », Cran d’arrêt du beau temps. Journal 1991-1998, Van Dieren, p. 158.

David Farreny, 27 mars 2010
nom

150. Choses magnifiques

[…]

Le paravent dont les peintures représentent les paysages de la « Description originale de la terre ». Il a un nom auquel j’aime à penser.

Sei Shônagon, Notes de chevet, Gallimard, p. 293.

David Farreny, 4 juin 2011
petitesse

Arsène, du plus haut de son esprit, contemple les hommes ; et dans l’éloignement d’où il les voit, il est comme effrayé de leur petitesse. Loué, exalté, et porté jusqu’aux cieux par de certaines gens qui se sont promis de s’admirer réciproquement, il croit, avec quelque mérite qu’il a, posséder tout celui qu’on peut avoir, et qu’il n’aura jamais […].

Jean de La Bruyère, « Les caractères ou les mœurs de ce siècle », Œuvres complètes (1), Henri Plon, p. 211.

Guillaume Colnot, 27 fév. 2013
champ

Même mon amie, quand de son car qui démarrait de l’autre côté de la rue elle se tournait vers moi, me bouchait la vision du libre espace. Je ne pouvais répondre à son salut que lorsqu’elle était sortie du champ, que l’endroit était à nouveau vide. Alors, il est vrai, le pays tout entier semblait occupé par elle, je faisais avec elle son propre parcours comme elle faisait le mien avec moi.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 56.

Cécile Carret, 4 août 2013
effronterie

Alors que d’habitude je changeais constamment de pas, m’écartais à contretemps, me heurtais, je marchais maintenant avec les autres, et chacun de mes pas, si inhabituelle que fût la densité humaine, trouvait du jeu sur l’asphalte. Enfin je ne trottais ni ne traînais les pieds (comme tous dans les couloirs de l’internat), mais avais ma démarche, avançais en me balançant sur la plante des pieds qui déroulait, sensible, la succession des orteils, du métatarse et du talon, envoyais au passage de petits objets sur le côté, avec le sentiment d’effronterie tranquille qui, je l’éprouvai alors dans le recommencement, avait autrefois caractérisé mon enfance.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 104.

Cécile Carret, 8 sept. 2013
verse

Cet après-midi entamé Trézeaux d’Henri Thomas, des poèmes qui ne paient pas de mine, mais que j’envisage d’ores et déjà très bien :

Je songe, je tergiverse,

Je vois la to-ta-li-té,

Et puis je verse

D’un seul côté.

Philippe Louche, Psychogéographie indoor (103). 🔗

David Farreny, 1er mars 2024

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