marais

On peut étouffer le désir, plus ou moins ; mais la vie n’est plus alors qu’un champ morne, une lassitude plate, un marais que la fatigue investit tout entier.

Renaud Camus, « lundi 27 avril 1987 », Vigiles. Journal 1987, P.O.L., p. 155.

Élisabeth Mazeron, 16 avr. 2005
terrier

Défaire

détourner

ramener à soi

rejeter d’auprès de soi

froisser

Insignifier par des traits

Percer

pousser

cherchant

cherchant toujours LA SORTIE DU TERRIER

Henri Michaux, « Par des traits », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 1250.

David Farreny, 7 août 2006
troussait

Ce bâton en travers d’épaules me parut propre à d’autres proies : j’y crus voir garrotté sous des nylons froids que la posture troussait, au lieu du poil roux celui, tout noir et cru, moussant aux cuisses épaisses de cette garce. Je courais tout à fait, j’en avais le prétexte ; des joncs se brisaient sous mes pieds ; l’air à mes oreilles m’étourdissait ; sortie du bois par une sente infime, toute droite et peut-être effrayante comme Ysengrin le connétable, âpre comme sa louve, elle était là à deux pas de moi debout, telle qu’en courant j’aurais pu la heurter. Elle me parut géante. Je m’arrêtai court.

Pierre Michon, La Grande Beune, Verdier.

Cécile Carret, 21 fév. 2009
fatigue

Or en ce temps-là, j’étais fatigué, d’une fatigue déjà ancienne, incarnée, que je croyais irrémédiable. Ce n’était pas la fatigue que nous connaissons tous, qui se dépose sur le bien-être et l’étreint comme une paralysie temporaire, c’était un manque définitif, une amputation. Je me sentais vidé, comme un fusil déchargé, et Valerio était comme moi, même s’il en avait moins conscience, et tous les autres aussi.

Primo Levi, « Capaneo », Lilith, Liana Levi, p. 12.

Cécile Carret, 21 mars 2010
on

On s’étonne aussitôt que Marconi soit parvenu à ses fins par des moyens si simples. On s’interroge sur lui. On ignore qu’il n’a fait qu’user habilement d’un des brevets, le n° 645.576, déposé par Gregor quelques années plus tôt mais insuffisamment protégé. On n’a pas le moyen de savoir que ce brevet a été anonymement posté à Marconi. Le saurait-on qu’on pourrait se demander, en étudiant l’adresse manuscrite sur l’enveloppe qui le contenait, si ne s’y distingueraient pas des points communs avec l’écriture d’Angus Napier. Même si, quarante-deux ans plus tard, la Cour suprême reconnaîtra l’antériorité des travaux de Gregor en matière de transmission radio, en attendant, quarante-deux ans plus tôt, c’est encore un sale coup pour lui.

Jean Echenoz, Des éclairs, Minuit, p. 121.

Cécile Carret, 11 oct. 2010
sublimer

Il sera le premier à contrôler l’électricité en profitant de la puissance des fleuves, en canalisant cette énergie fourvoyée qui ne servait que la migration libidinale des saumons ; il va la dompter, la domestiquer, non pour aveugler de lumière le théâtre du drame comme nous l’avons fait, mais pour sublimer les choses mêmes, pour en révéler l’éclat intérieur. Une joie inconnue va inonder la Terre. Miroitant corbeau. Crapaud radieux. Tout rayonne. Le terne caillou était donc une pépite.

Éric Chevillard, Dino Egger, Minuit, p. 47.

Cécile Carret, 29 janv. 2011
aboli

Une dernière question : Georges Lukács n’a-t-il jamais, au grand jamais, envisagé que, quand la justice sociale sera enfin établie, quand chacun travaillera dans la dignité sans plus être exploité, sera pourvu selon ses besoins, etc., alors, comme l’écrit une adepte de Schopenhauer, Janine Worms, « tout écran aboli devant la catastrophe de notre condition, les “heureux” se battront pour une place à l’asile » ?

Roland Jaccard, « Les idoles du néant », La tentation nihiliste, P.U.F., p. 90.

David Farreny, 9 déc. 2014
malgré

Malgré tout, les cages fournissent, à peu près, un rayon de soleil par barreau.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015
gis

Je gis pauvrement, tu gis misérablement, il gît pitoyablement, nous gisons lamentablement, tandis que vous Gizeh, ô grands pharaons !

Éric Chevillard, « jeudi 23 août 2018 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 27 fév. 2024
leçon

Certains coquetiers sont en forme de sablier et je suppose qu’il convient alors de percer l’œuf par le fond pour comprendre l’amère leçon qui nous est dispensée tout en suçant tristement nos mouillettes de pain sec.

Éric Chevillard, « lundi 8 avril 2024 », L’autofictif. 🔗

David Farreny, 13 avr. 2024
métaphysique

De quelle antériorité l’idée d’essence, de nature ou d’être rend-elle compte ? Mais, aussi, de quelle finalité ? De quelle nécessité ? Comme les gens de l’art se sont disputés et disputent toujours d’abondance là-dessus, tout me laisse à penser que cette idée ne résulte que d’une sorte de cristallisation ontologique : lorsque, à titre de mortel, un philosophe fait la vulnérante et humiliante expérience d’une vie aléatoire ; lorsqu’il se sent pour cela même peu enclin à marivauder avec une fortune si volage, il en vient à désirer une autre réalité dont il idéalise les attributs. Ainsi surgit en son imagination le mirage de l’« essence », de la « nature » ou de l’« être », impeccable arrière-monde, oasis du Sens, havre où son esprit se hâte d’accoster afin d’y apaiser les haut-le-cœur que lui cause le bateau ivre du hasard. J’appelle ce mirage une métaphysique et, ce genre de philosophe halluciné, un métaphysicien.

Le métaphysicien aimerait que son chimérique paysage se réalisât dans un immuable présent, ou qu’un temps coutumier, en en renouvelant les formes, en fît un abri sûr. Mais hélas pour lui, le temps reste le maître. Primesautier, imprévisible, capricieux, le temps ne déplace pas seulement les lignes, il viole aussi la virginité des essences, tourne le sens en dérision, bafoue la pérennité de l’être. Tout à son jeu de tric-trac, cet enfant terrible excelle à ébranler les fragiles constructions du hasard, son double, qui s’en divertit.

Frédéric Schiffter, « 7-8 », Contre Debord, Presses Universitaires de France.

David Farreny, 5 mai 2024

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