mort

Pour l’Occidental contemporain, même lorsqu’il est bien portant, la pensée de la mort constitue une sorte de bruit de fond qui vient emplir son cerveau dès que les projets et les désirs s’estompent. L’âge venant, la présence de ce bruit se fait de plus en plus envahissante ; on peut le comparer à un ronflement sourd, parfois accompagné d’un grincement. À d’autres époques, le bruit de fond était constitué par l’attente du royaume du Seigneur ; aujourd’hui, il est constitué par l’attente de la mort. C’est ainsi.

Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, Flammarion, pp. 104-105.

David Farreny, 22 mars 2002
épaulements

Un désordre fugace, inaudible, déjà évanoui tandis que seuls demeurent les épaulements de granit sous le ciel vide.

Pierre Bergounioux, Ce pas et le suivant, Gallimard, p. 118.

David Farreny, 28 mars 2002
endroit

Il était le fils de sa mère. Il appartenait à l’endroit. Il fut l’endroit fait homme, comme elle avait été la femme qu’il avait fallu, à un moment donné, à cet endroit. Il ne pouvait croire qu’on s’y établisse et respire sans abdiquer, dans l’instant, ce qu’il ne réclamait point, en devenir possesseur et possédé, l’esclave, le maître, ce qu’il était assurément.

Pierre Bergounioux, Miette, Gallimard, p. 48.

Élisabeth Mazeron, 6 oct. 2004
délivrance

Tout au long de ces poèmes, dont la suite couvre l’essentiel de notre histoire nationale, on peut reconnaître, dans un sentiment intense de familiarité, les archétypes mêmes de nos grands moments poétiques, du Moyen Âge aux surréalistes, à Éluard (à l’exception des classiques décidément étrangers à toute circulation populaire). De ce qu’on est convenu d’appeler la grande littérature, ces textes ont les audaces essentielles : le raccourci, l’irrationnel, l’aplomb d’un langage qui ne s’étonne ni ne s’émerveille jamais de lui-même et refuse la complaisance rhétorique, en bref un état merveilleux d’inéloquence que nous avions accoutumé de reconnaître comme le pouvoir des très grands auteurs. Voyez un détail, par exemple : comme la chute de tous ces poèmes est pudique, hostile au coup de trompette des clausules traditionnelles.

On aimerait imaginer une philosophie de l’histoire littéraire qui donnerait à la suite de nos poètes connus cette table de poèmes populaires comme un archétype platonicien de la poésie : nous avons bien ici une idée de la littérature, dont les belles-lettres sont comme le reflet historique. En lisant au hasard parmi les proverbes populaires qui terminent ce Trésor : Dieu mesure le vent aux brebis dépouillées, ou La clef qui sert est toujours claire, est-ce que je n’accomplis pas en moi un état d’évidence immédiate, un sentiment de nutrition, de délectation qui fondent la littérature comme une parole de délivrance et de bonheur ?

Roland Barthes, « Trésor ouvert, trésor retrouvé », Œuvres complètes (1), Seuil, p. 571.

David Farreny, 17 nov. 2004
honte

Le journal “responsabilise”, de façon générale — celui qui le tient, bien sûr, mais aussi ceux qui savent qu’il est tenu. Il est un témoin, dont on sait qu’il est là, qu’il vous voit et qu’il vous entend. Il m’est souvent arrivé de ne pas faire certaines choses parce que j’aurais eu honte de les rapporter ici.

Renaud Camus, « samedi 28 juin 2003 », Rannoch Moor. Journal 2003, Fayard, p. 337.

David Farreny, 7 mai 2006
rire

Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, oh, Yélé ! Le feu l’a grillé, le gros Ézuzum, le feu l’a tué, le gros Ézuzum, le feu l’a mangé, le gros Ézuzum. Ah ! Ah ! Ah ! Yélé, ho ! Yélé ho ! Le feu l’a mangé, kri kri kri, celui qui voulait nous manger ! Où est son grand couteau, l’eau et la marmite. Ah ! Ah ! Ah ! Nous allons rire. Merci Ngemanduma. Nous allons rire.

Christophe Tarkos, « Processe », Écrits poétiques, P.O.L., p. 113.

David Farreny, 21 mai 2009
intérêt

Elle dit : « Ma vie est sans intérêt. » Il rectifie : « La vie est sans intérêt. » Puis la journée se passe, sans intérêt.

Jean-Pierre Georges, Car né, La Bartavelle, p. 15.

David Farreny, 5 juil. 2009
chœur

Les heures ne cardaient leur laine et la rivière

                            ne coulait sous les ponts

que pour sonner en moi, au chœur de l’éphémère,

                            les voix et les répons.

Benjamin Fondane, « Au temps du poème », Le mal des fantômes, Verdier, p. 212.

David Farreny, 2 juil. 2013
optimiste

On peut éprouver de la sympathie pour un optimiste, bavarder avec lui, échanger quelques banalités, quant à avoir une discussion c’est une autre histoire.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 33.

David Farreny, 8 oct. 2014
loi

Il avait coutume de nommer ses vertus et ses défauts, Chambre des communes et Chambre des Lords et, très souvent, la première promulguait une loi que la seconde refusait d’adopter.

Georg Christoph Lichtenberg, Le miroir de l’âme, Corti, p. 135.

David Farreny, 23 oct. 2014
reconstruit

Retour à travers les collines. Dîner à Cagnes. Village bien léché, comme tous les autres, nettoyé, restauré, emballé sous vide, surgelé. On pourrait manger à même les escaliers rouges et déglingués de Soutine qui ne sont plus ni rouges ni déglingués. Bien entendu. Cagnes, comme les autres patelins, donne l’impression d’avoir été sauvé de la démolition par un amateur d’art japonais ou américain, racheté, transporté pierre par pierre et reconstruit avec une fidélité scrupuleuse à l’original disparu. Mais le plus beau, le plus raffiné, le plus sophistiqué, c’est qu’il a été reconstruit là où il se trouvait auparavant, réérigé in situ, détruit et reconstruit sans avoir besoin d’être ni détruit ni reconstruit. Mort et aussitôt ressuscité. Ressuscité mort. Le faux est advenu à la place du vrai, là où se trouvait le vrai. « La nuit des embellissements modernes est tombée sur toutes les choses lumineuses », écrivait Bloy revoyant Périgueux à soixante-quatre ans.

Philippe Muray, « 3 août 1990 », Ultima necat (III), Les Belles Lettres, p. 529.

David Farreny, 29 fév. 2024

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