cuve

D’abord il l’épie à travers les branches.

De loin il la humine, en saligoron, en nalais.

Elle : une blonde rêveuse un peu vatte.

Ça le soursouille, ça le salave,

Ça le prend partout, en bas, en haut, en han, en hahan.

Il pâtemine. Il n’en peut plus.

Donc, il s’approche en subcul,

l’arrape et, par violence et par terreur la renverse

sur les feuilles sales et froides de la forêt silencieuse.

Il la déjupe ; puis à l’aise il la troulache,

la ziliche, la bourbouse et l’arronvesse,

(lui gridote sa trilite, la dilèche).

Ivre d’immonde, fou de son corps doux,

il s’y envanule et majalecte.

Ahanant éperdu à gouille et à gnouille

— gonilles et vogonilles —

il la ranoule et l’embonchonne,

l’assalive, la bouzète, l’embrumanne et la goliphatte.

Enfin ! triomphant, il l’engangre !

Immense cuve d’un instant !

Forêt, femme, terre, ciel animal des grands fonds !

Il bourbiote béatement.

Elle se redresse hagarde. Sale rêve et pis qu’un rêve !

« Mais plus de peur, voyons, il est parti maintenant le vagabond…

et léger comme une plume, Madame. »

Henri Michaux, « Rencontre dans la forêt », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 416.

David Farreny, 20 mars 2002
surdivisée

Quoi qu’il arrive dans cet espace, vous avez tout le temps pour assister au spectacle. Avec votre temps nouveau, avec vos minutes aux trois mille instants, vous ne serez pas débordé, avec votre attention surdivisée vous ne serez pas dépassé. Jamais.

Henri Michaux, « Misérable miracle », Œuvres complètes (2), Gallimard, p. 680.

David Farreny, 24 août 2003
diminués

Les divers insectes carnivores, vus au microscope, sont des animaux formidables, ils étaient peut-être ces dragons ailés dont on retrouve les anatomies : diminués de taille à mesure que la matière diminuait d’énergie, ces hydres, griffons et autres, se trouvaient aujourd’hui à l’état d’insectes. Les géants antédiluviens sont les petits hommes d’aujourd’hui.

François-René, vicomte de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe (1), Le livre de poche, p. 248.

Guillaume Colnot, 17 mai 2007
image

Lorsque deux chaises sont disposées au milieu du petit salon de Keats, exactement de la même façon qu’en le célèbre tableau de Severn, si souvent reproduit, montrant Keats lisant là, sur une chaise, le coude appuyé sur une autre en face de la baie, une vibration de vérité se produit, qu’aucune notice didactique ne déclenchera jamais […]. Bien sûr, la référence, dans la simple et efficace mise en scène des deux chaises, n’est toujours pas le “réel”, cet éternel déserteur de la pensée comme de la rêverie (mais pas de la douleur, bon). La référence, c’est seulement le tableau de Severn, et Severn n’a jamais vu Keats lisant dans la maison de Hampstead. Cependant il s’est beaucoup renseigné auprès de Brown, qui lui a envoyé des descriptions méticuleuses, presque maniaques : il fallait que la postérité sût bien dans quelle position lisait Keats à Wentworth Place. Et surtout il y a cette phrase insondable de Keats qui nous permet d’entrevoir que la solution c’est le problème lui-même, et que l’essence des choses c’est de nous échapper indéfiniment, comme le sens :

« And there I’d sit and read all day like the picture of somebody reading » (comme l’image de quelqu’un qui lit).

Nous ne faisons jamais qu’imiter quelqu’un qui vivrait (et qui lirait, surtout).

Renaud Camus, « Wentworth Place, à Hampstead, Londres. John Keats », Demeures de l’esprit. Grande-Bretagne I, Fayard, pp. 394-395.

David Farreny, 6 juin 2010
courriers

On les a placés devant cette alternative : devenir des rois ou les courriers des rois. À la manière des enfants, ils voulurent tous être courriers. C’est pourquoi il n’y a que des courriers, ils courent le monde et comme il n’y a pas de rois, se crient les uns aux autres des nouvelles devenues absurdes. Ils mettraient volontiers fin à leur misérable existence, mais ils ne l’osent pas, à cause du serment de fidélité.

Franz Kafka, « Journaux », Œuvres complètes (3), Gallimard, p. 454.

David Farreny, 8 nov. 2012
divisant

Quand nous arrivâmes au sommet de l’Egger-Berg, le soleil se couchait dans une vapeur grisâtre et légère. Les montagnes du fond étaient sombres, l’aspect du pays calme, la mer immobile. Cette grande étendue était muette, aucun mouvement dans le port, on voyait seulement une petite barque rentrer à l’approche de la nuit.

Ce point de vue est un des plus beaux de l’univers.

Regardez-vous du côté de la mer ? les formes arrondies de la plage, la mollesse des contours, les longs promontoires, doucement abaissés, permettraient de penser à Naples, si un autre soleil les éclairait. Il faut avouer que c’est une chose étrange et belle à voir, que le golfe de Baia baignant les montagnes du canton d’Uri.

En général, on se plaint de n’avoir pas une idée vraie de l’immensité de la mer, parce que rien n’offre à l’œil un point de comparaison pour mesurer son étendue ; mais ici cette foule d’accidents que produisent les anfractuosités du golfe, les pointes, les langues de terre, les récifs dont il est semé, rendent l’immensité sensible et l’agrandissent en la divisant.

Jean-Jacques Ampère, Littératures et voyages. Esquisses du Nord, Didier.

David Farreny, 21 avr. 2013
chant

Une seule fois jusque-là s’était produit quelque chose de comparable, à l’internat justement, lorsqu’un jour, convaincu lui-même de ne pas savoir chanter, il y fut invité par le professeur, se leva gorge nouée, prit sa respiration et, au milieu de la classe plongée dans sa torpeur habituelle, tira du plus profond de lui-même un chant étrange et délicat qui fit d’abord éclater de rire les auditeurs, puis leur fit détourner les regards comme dans une bizarre circonspection, un chant, pensait-il, qui devait être enfoui au fond de lui depuis toujours.

Peter Handke, Le recommencement, Gallimard, p. 171.

Cécile Carret, 21 sept. 2013
période

Mon corps, depuis quelques années déjà, est entré dans une période néo-expressionniste.

Jean-Luc Sarré, Ainsi les jours, Le Bruit du temps, p. 37.

David Farreny, 8 oct. 2014
île

Seul comme Franz Kafka ? Seul comme Philippe Muray ?

Seul comme ? Seul comme ce qui n’a pas de comme.

Sens du soupir de Kafka…

J’ai été seul, et ma solitude je vous l’ai rendue inoubliable.

Solitude la plus basse, la plus noire, la moins romantique, pittoresque, littéraire qui soit. Solitude sexuelle. Tous les sexes ensemble d’un côté et moi de l’autre côté. Ma solitude repose sur leur mime sexuel commis en commun.

Même sur une île déserte, j’aurais toute l’île déserte contre moi.

Philippe Muray, « 6 février 1983 », Ultima necat (I), Les Belles Lettres, p. 243.

David Farreny, 27 mai 2015
régler

Nous avons parfois l’impression qu’en déchirant deux ou trois vieilles lettres et quelques factures payées, nous allons régler notre situation et être heureux pour toujours.

Baldomero Fernández Moreno, « Air aphoristique », Le papillon et la poutre.

David Farreny, 7 juil. 2015
unisson

Il fait beau et je ne suis pas à l’unisson.

Pierre Bergounioux, « mardi 3 mai 2016 », Carnet de notes (2016-2020), Verdier, p. 90.

David Farreny, 6 mai 2024

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