Quand un homme s’est mis en alexandrins il a beaucoup de peine à rentrer dans le civil.
Henri Michaux, « Qui je fus », Œuvres complètes (1), Gallimard, p. 100.
Le port sécrète de l’avenir, réconforte avec ses quintaux métriques d’éléments vitaux et premiers.
Michel Besnier, Cherbourg, Champ Vallon, pp. 64-65.
Je n’ai pas de nom. Je m’appelle Personne.
Les riches ont l’or,
mes maigres mains creusent le rio.
Mes maigres mains creusent un sillon de mort.
J’ai enterré tant d’enfants que ma mémoire
est une encre sauvage.
Je n’ai plus de mains. Je n’ai plus d’âge.
J’ai la sagesse des grands arbres brisés par les Américains.
Je suis un Peau-Rouge. Jamais je ne marcherai
dans une file indienne.
J’ai très mal au cœur, au sexe, aux entrailles.
Je prie. Je suis Sioux.
Je prie. Je crois à la revanche.
Je suis celui qu’on ne peut pas tuer au cœur de la bataille.
André Laude, « Je m’appelle Personne », poèmes posthumes publiés par la revue « Points de fuite », 1995.
Je conduis Jean à la séance de judo, tire Paul de la crèche, reviens au gymnase, plie du linge, prépare le dîner, surveille les petits. Comment acquérir de nouvelles lumières, plus de raison ?
Pierre Bergounioux, « jeudi 5 mai 1983 », Carnet de notes (1980-1990), Verdier, p. 203.
C’était dur. Mais comme ces changements dans les habitudes de la dame s’adressaient sans aucun doute à lui, il y avait évidemment quand même un rapport entre eux, bien que sous une forme négative ; et cela pouvait suffire.
Thomas Mann, La montagne magique, Fayard, p. 165.
Ensuite il y eut le rêve de revenir à la maison de notre enfance, et de se retrouver dans le silence ininterrompu des champs et des bois. Midi passe sans commentaires. À La Bourboule, midi était fait de carillons, du silence des rues, et des bruits multiples, contradictoires, de la vaisselle et des repas qu’on servait dans les grandes salles claires, sous les paupières à demi baissées des stores et des tentures à franges. Ici, midi n’est qu’une heure qui sonne, gaiement là-bas dans la cuisine, et à mi-voix, finement, dans la fraîcheur du salon vide. Nous ne savions plus quoi faire. Le ruisseau, les courses dans les bois, c’était un passé trop récent pour que nous eussions plaisir à le revivre.
Valery Larbaud, « Enfantines », Œuvres, Gallimard, pp. 490-491.
Le désir, un bien grand mot, c’est l’envie qui manque.
Jean-Pierre Georges, L’éphémère dure toujours, Tarabuste, p. 24.
Car il y avait un si long temps que j’avais goût de ce poème, et ce fut tel sourire en moi de lui garder ma prévenance : tout envahi, tout investi, tout menacé du grand poème, comme d’un lait de madrépore ; à son afflux, docile, comme à la quête de minuit, dans un soulèvement très lent des grandes eaux du songe, quand les pulsations du large tirent avec douceur sur les aussières et sur les câbles.
Saint-John Perse, « Amers », Œuvres complètes, Gallimard, p. 263.
Malentendu : écrire éloignerait l’écrivain de la réalité, le couperait de la vie, dit-on, alors que celui-ci fait au contraire, sans divertissement ni autre faux-fuyant, l’expérience de la vie même en acceptant justement la solitude essentielle de l’être – celle de la naissance et de la mort, celle à laquelle nous sommes ramenés toujours par les deuils et les ruptures, quand se défont les fusions, les osmoses – et en s’efforçant de rendre celle-ci féconde.
(L’osmose entre deux êtres ne dure que tant qu’ils se croisent.)
(D’autrui ne me parvient le plus souvent que la basse obsédante, martelée, insupportable.)
Éric Chevillard, « mardi 24 septembre 2013 », L’autofictif. 🔗
Ah là là, il devient impossible de prendre le métro aux heures de pointe sans s’exposer aux mains courantes des jeunes femmes !
Éric Chevillard, « lundi 5 août 2019 », L’autofictif. 🔗